Je m'abonne
Entrevues

Entrevue avec Dyana Gaye

par Helen Faradji

Sophie, Abdoulaye et Thiernose. New York, Dakar et Turin. Trois personnages, trois lieux pour mieux raconter, au travers de parcours de migrants, les rêves et espoirs, les désillusions et les écueils de ceux qui doivent partir. D’une poésie parfois candide, Des étoiles mêle aux chroniques réalistes de ces destins particuliers un sens de la fable et du récit d’initiation attachant. Nous avons rencontré la réalisatrice, Dyana Gaye (Un transport en commun).

24 Images: C’est votre premier long. Comment est né le désir pour ce projet?
Dyana Gaye :
J’avais envie d’aborder des figures féminines, ce que je n’avais pas fait dans mes courts-métrages, sauf un peu dans Un transport en commun mais qui était un film choral. Le point de départ a donc été le personnage de Sophie, qui arrive à Turin, et celui de sa tante qui fait le voyage depuis New York pour rentrer au Sénégal pour enterrer son mari. Je voulais aussi travailler sur des personnages de deux générations, d’une même famille qui va se retrouver éclatée sur différents territoires dans le monde et dont les trajectoires se font écho. C’était vraiment le point de départ. Et puis de façon assez ludique, j’essaye aussi toujours de partir du film précédent que j’ai fait. Dans Un transport en commun, un personnage féminin partait enterrer son père et un autre s’apprêtait à partir en Italie, tous deux incarnant une jeunesse sénégalaise en mouvement, et je voulais prolonger ce mouvement, avec toujours cette problématique de l’ailleurs. La troisième chose qui a été importante dans la genèse du projet, ça a été les villes, les territoires, les lieux. Dakar, d’abord, d’où partent tous les personnages et c’est là que j’ai tourné tous mes courts-métrages avant. C’était logique pour moi de continuer à questionner cette partie de mon identité que je connais moins bien, puisque je suis née à Paris. Comme ma mère est à moitié italienne et que l’italien est ma deuxième langue, Turin s’est ensuite imposée assez naturellement. J’avais pu y observer de façon marquante, en outre, une très forte immigration féminine, d’Afrique de l’Ouest, d’Europe de l’Est, d’Amérique du Sud… que je décris dans le film à travers les personnages de Rose et de celles qui gravitent autour de Sophie. Ce sont des femmes indépendantes, fortes, parfois tombant le piège d’un réseau de proxénétisme, à qui j’avais envie de donner la parole, car je trouve ça rare au cinéma, de voir des figures féminines de la migrance. Et puis, c’était aussi important pour moi que Sophie débarque dans un pays dont elle ne parlait pas la langue. Elle aurait pu arriver à Paris, Bruxelles ou Marseille mais Turin, ça durcissait un peu plus son parcours, ce que je trouvais intéressant. Ce n’est pas une grande capitale, c’est une ville enclavée, enfermée dans les montagnes et historiquement, c’est une ville d’accueil, notamment après la seconde Guerre Mondiale où elle a accueilli beaucoup d’Italiens du Sud avec l’essor industriel, c’est la ville de la Fiat…Et puis, avec New York, ça renvoyait aussi à une idée de ce parcours triangulaire qui était celui de la traite des esclaves, de l’Afrique à l’Europe et aux Etats-Unis. Avec New York, je n’ai pas d’attaches familiales ou personnelles mais c’est la ville de mon imaginaire, qui symbolise toutes mes influences culturelles qu’elles soient cinématographiques, musicales, littéraires… C’est une ville qui m’inspire beaucoup.

24I : Thématiquement, on comprend bien l’importance de ces trois villes. Mais qu’est-ce qu’elles avaient de cinématographique pour vous ?
D. G. :
Turin, il y avait ce côté enclavé d’une ville bourgeoise assez froide, des beaux-arts, en contre-point avec Dakar qui est beaucoup plus bordélique, où tout est aléatoire, et New York plus froide aussi mais où tout grouille. On n’a fait aucun travail à l’image pour essayer de marquer esthétiquement leurs identités respectives : on les a filmées de manière très réaliste et naturelle. Ce sont des villes qui imposent une lumière, avec leurs caractéristiques, de manière très forte et qui culturellement se racontent d’elles-mêmes. Et puis, je voulais vraiment que ces trois villes soient vues à travers le regard des personnages. Donc, on les voit par la force du récit et par la force de ce que les personnages nous donnent à voir d’elles. Donc, New York n’est pas vue par ses gratte-ciels, son côté imposant, touristique, par exemple, mais plutôt par le bas, de façon souterraine, via le regard d’Abdullah. Turin, c’est pareil, c’est une ville dont on voit beaucoup plus les intérieurs avec le personnage de Sophie. Pour Dakar, c’est différent parce que le personnage n’est pas dans la même dynamique : c’était important pour moi de montrer qu’on peut aussi faire le chemin inverse, que ce n’est pas uniquement des gens qui partent du sud pour aller vers le nord et que pour ce personnage, la problématique est qu’il devient presque un touriste à Dakar, après y avoir enterré son père. Donc, dans ce contexte, le travail de mise en scène devenait plus ouvert, en laissant voir plus de ciel, de paysages, etc… Même si ça passe encore par son regard

24I : Ces thèmes de l’exil et de l’ailleurs, pourquoi avoir voulu en parler aujourd’hui précisément ?
D. G. :
Depuis 99, depuis mon premier court, ce sont des thèmes qui me préoccupent. Ce sont des problématiques intemporelles, mais je crois que c’est aussi lié à mon histoire familiale, à mon métissage. Avec ce film, je voulais aussi questionner la possible liberté de circulation que j’aie, en pouvant voyager comme je veux, mais qui n’ets pas le cas de la jeunesse sénégalaise, par exemple, que je décris. Je dis souvent d’ailleurs que ce n’est pas un film sur l’immigration, parce que je voulais surtout ne pas être dans une lecture de statistiques et rendre à ces personnages une certaine simplicité. Celui de Sophie a une trajectoire romanesque, par exemple : elle part rejoindre son mari, c’est un parcours amoureux. Elle fait partie de la classe moyenne, est éduquée, elle ne part pas pour des raisons économiques. C’était important pour moi de le montrer. De la même façon avec sa petite sœur qui a des rêves d’ailleurs, d’Etats-Unis, parce qu’elle écoute Rihanna et écoute des séries américaines, comme une jeune fille de 16 ans et qu’elle veut voir ailleurs. Cette liberté n’est pas partagée par tous et ça me préoccupe.

24I : On imagine qu’il y avait aussi une volonté de montrer un visage différent de la mondialisation ?
D. G. :
Oui. Et d’être au plus près de ces personnages, de leurs émotions, de leurs sensations. Il n’y a pas d’intrigue, c’est une chronique. Je voulais raconter des petites histoires inscrite dans la grande. Ils sont Sénégalais parce que c’est la fenêtre d’où je me situe et d’où je regarde, mais avec une volonté d’être le plus universel possible, parce qu’ils pourraient être chinois, indiens, argentins… Ces personnages, comme le dit le titre, forment une constellation et dans ces mouvements, ils se croisent et il y a une forme de contamination, de circulation immédiate, car on est tous amenés, en 2015, à avoir une relation avec l’Ailleurs, même sans bouger, en réalité. Les situations et le monde sont toujours plus complexes qu’on pense

24I : Comment avez-vous envisagé le rôle et la place de la musique, notamment à la fin, où elle crée un espoir très important ?
D. G. :
La musique a toujours eu de l’importance pour moi. En fait, j’ai étudié la musique et la danse longtemps. Ce film-ci est pour moi un film musical, même s’il ne respecte pas les codes du genre comme mon court précédent qui était vraiment une comédie musicale. De façon générale, j’écris mes films comme des partitions. En fait, avant même d’écrire le scénario, la musique préexiste. Pour chaque film, je fais une playlist avant de commencer à écrire. Je choisis des morceaux, selon l’humeur, qui vont m’accompagner durant tout le processus d’écriture. Et j’écoute de manière très monomaniaque ! Pour ce film-là, je suis partie de concertos pour violons de Bach, parce que je savais que le film aurait cette dimension de mouvement en trois parties et le tempo de la musique classique donne très naturellement ce souffle, ce rythme. Ensuite chaque personnage avait sa musique, chaque ville aussi. Il y avait beaucoup de jazz, de musique sénégalaise, de hip hop. C’est assez hétéroclite et ça rythme vraiment l’écriture, parce que la musique convoque chez moi des images. Depuis mon deuxième court, je travaille en outre avec un compositeur, Jean-Baptiste Bouquin, et une fois le scénario terminé, je lui remets, avec la playlist, qui sert de BO imaginaire, – même si pour ce film, j’ai gardé le morceau de Melody Gardot pour la fin, et qui m’a aussi inspiré le titre – et on commence à collaborer sur une musique originale. C’est comme ça qu’on communique, c’est notre forme de langage !

24I : Avec ces effets d’alternance entre les parties, comment avez-vous abordé la mise en scène et en particulier le montage ?
D. G. :
Nous l’avions beaucoup anticipé à l’écriture, avec Cécile Vargaftig ma coscénariste. On avait beaucoup réfléchi aux questions de résonance, de comment passer d’un espace à l’autre. La première version du scénario n’était que des correspondances, des lettres ! C’est devenu des séquences et des dialogues, mais dès le départ, tout était là. On a par contre évité de donner trop de repères temporels, pour qu’on puisse garder une vraie liberté au montage et travailler à échanger des séquences, etc… C’était un montage assez compliqué, en fait. Les transitions étaient donc déjà pensées, ce qui nous a aidé à trouver l’arc du film très facilement mais la plus grosse difficulté, ça a été de trouver le début et la fin : comment est-ce qu’on ouvre et referme trois histoires dont les personnages sont « à égalité »… ?

24I : Outre les influences musicales dont vous parliez, aviez-vous d’autres types de référents ?
D. G. :
Avant l’écriture, oui, je re-convoque des films. Pas pendant, parce que ça pourrait m’inhiber, mais pour ce film, j’avais donné à mon équipe à voir trois films : Mirage de la vie de Douglas Sirk, pour sa dimension mélo, La petite vendeuse de soleil de Djibril Diop Mambety, pour le Sénégal, pour sa poésie et sa force aussi et pour la combativité du personnage féminin et enfin My Brother’s Wedding de Charles Burnett dont j’ai même utilisé un extrait dans le film. C’est un cinéaste qui m’accompagne depuis très longtemps, dont je trouve l’écriture très intéressante, très libre et dont le rapport à la musique, tout en ruptures, me fascine. Après, la vraie influence pour moi, pour ce film, a été littéraire. Ce sont les écrits de la poétesse Maya Angelou, et notamment les récits de sa vie en Afrique et sa trajectoire de militante, Tant que je serai noire, Je sais pourquoi les lions sont en cage et Un billet d’avion pour l’Afrique.

24I : Et qu’est-ce qui vous a inspiré chez vos acteurs ?
D. G. :
Ça a été un processus assez compliqué ! Mais ce qui m’a inspiré, c’est leur envie, leur énergie, la volonté de se laisser embarquer dans l’aventure. J’aime beaucoup travailler avec des non-professionnels ce qui fait que je fonctionne beaucoup à l’énergie, à la rencontre et à la possibilité que je peux ressentir chez un comédien de collaborer. Là, j’ai vraiment eu beaucoup d’évidences, même si le casting a été long !

 

Propos recueillis par Helen Faradji lors des Rendez-Vous du Cinéma Français organisés par Unifrance, Paris, janvier 2015.

 

La bande-annonce de Des étoiles


2 avril 2015