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Entrevues

Entrevue avec Jeanne Herry

par Helen Faradji

Un chanteur à succès qui commet l’irréparable, une fan qui le suit depuis plus de 20 ans et va se dévouer corps et âme… à partir de ce duo de figures mythiques, Jeanne Herry, fille de Miou-Miou et de Julien Clerc qui connaît donc bien le sujet de la célébrité, construit un premier long où se côtoient avec habileté comédie de situation et suspense psychologique et offre à Sandrine Kiberlain et Laurent Lafitte deux rôles qui leur vont comme des gants. Nous avons rencontré la jeune réalisatrice.

24 Images : C’est votre premier long. Dans votre dossier de presse, vous le décrivez comme « votre film de petite fille ». C’est-à-dire ?
Jeanne Herry :
Même si j’avais écrit un livre avant, c’est quand même une première œuvre, encore. Et c’est répandu, je pense, de mettre beaucoup de choses de soi et de son enfance dans un premier long, comme c’est le cas pour moi. J’ai mis beaucoup d’images de mon enfance, de choses que j’aimais quand j’étais enfant, notamment tout ce qui est de l’ordre du policier, de l’enquête. C’est un genre que j’ai adoré quand j’étais enfant. Dans ce film, il y a beaucoup de choses de l’ordre de l’enfance, de ce qui m’a fait rêver que ce soit au cinéma ou dans les livres. Le fait de vouloir travailler sur une forme qui est à la fois polar et comédie ou sur la tension, comme je l’adorais quand j’étais petite dans les films d’Hitchcock… c’est vraiment une petite fille qui a fait son film. Et maintenant, on va passer à autre chose !

24I : C’est donc un film que vous portez en vous depuis longtemps. Au final, est-il à l’image de ce que vous imaginiez ?
J. H. :
Oui. Vraiment. C’est assez conforme. Évidemment, il y a beaucoup de choses qui ont changé et évolué parce qu’un film, c’est aussi une collaboration, un travail d’équipe. On demande et on sollicite la collaboration de plein de gens. Donc le film est fait de tous ces apports. Ce n’est pas un travail singulier, mais pluriel. Mais je suis quand même frappée de voir que c’est exactement ce que je voulais faire, au final. Je suis contente.

24I : La relation « star/fan » a beaucoup été abordée dans le cinéma américain, où l’aspect policier déborde en général sur l’horreur. Pourquoi ça vous semblait important d’y ajouter du ludique, de la fantaisie ?
J. H. :
Justement, je les ai adorés, moi, tous ces films : Misery, La valse des pantins… Mais le portrait qu’ils faisaient du fan ou de la célébrité ne correspondait pas tout à fait à ce que moi j’avais pu observer, enfant. Dans ce que j’ai entraperçu des fans, il y avait plus de fantaisie, plus de plaisir, de joie, moins d’hystérie. C’était des gens passionnés, un peu midinettes, parfois, mais qui venaient aux concerts pour se faire plaisir et j’étais surprise de les voir mis en scène de façon plus hystérique, à la limite de l’effondrement, de l’évanouissement. Il y a toujours dans ces films une dimension plus douloureuse. Je ne dis pas qu’il n’y a pas un abyme chez ces gens-là puisqu’ils viennent combler quelque chose, forcément, mais j’avais envie de montrer quelque chose de plus positif, que j’avais plus vu moi qui m’avait intéressé sans nécessairement m’effrayer. Après, je ne dis pas que je deviendrai pote avec tous les fans du monde, c’est aussi quelque chose qui doit rester à distance, je pense, parce que c’est ce qui fait l’essence de ce lien. Mais c’est vrai que dans les films, pour que l’histoire avance, on va pousser les choses un peu loin, et toujours vers la violence, le drame, la mort. Et moi, j’ai voulu pousser mon histoire pour que mes personnages aient des vraies trajectoires et je trouvais ça bien que ma fan arrive à une forme de libération, qu’elle finisse par se recentrer un peu dans sa vie.

24I : Étonnamment, c’est une relation qui a assez peu intéressé les cinéastes français, non ?
J. H.
: Il y a eu un film qui s’appelait Backstage, d’Emmanuelle Bercot. Ou Le rôle de sa vie qui était assez bien fait, assez beau. Backstage allait justement beaucoup dans l’hystérie, la douleur, des deux côtés d’ailleurs, puisque la fan était pathétique et la star perdue. Alors, je ne dis pas que ça n’existe pas, mais ce n’est pas du tout ce que je voulais montrer ! C’est mon petit apport à moi dans l’éclairage même qu’on jette sur la célébrité, parce que je voulais montrer la normalité, en fait.

24I : Votre film offre un terrain de jeu formidable pour vos acteurs. Est-ce que parce que vous êtes vous-même actrice que vous l’avez écrit dans cette optique ?
J. H. :
Oui, je pense. C’est pas mal, je crois, pour diriger son écriture de se dire « je vais donner beaucoup à jouer aux acteurs ». C’est attirant pour eux, et ça donne quelque chose à l’écran ! Mais oui, je pense que j’ai vraiment voulu écrire une partition pour les acteurs, un truc où ils auront des choses à faire, à jouer, à chercher. Ca m’intéressait. Parce que autant je n’avais pas d’expérience de réalisation, à part un court-métrage, j’étais assez verte même si je me suis beaucoup préparée, mais ça fait plus de 10 ans que je pratique le travail avec les acteurs et j’ai été actrice moi-même, ce qui m’a beaucoup aidé, puisque je connais leur travail. C’est une collaboration que je trouve passionnante : j’adore les acteurs, les voir jouer… En plus, je sais que j’écris des dialogues pour eux et que je les dirai beaucoup moins bien qu’eux !

24I : Vous ne joueriez pas dans vos films ?
J. H. :
Non, je ne pense pas. Je m’inspire pas beaucoup comme comédienne et je pense que c’est important, comme réalisatrice, d’être inspirée par les gens qu’on filme. Je ne pense pas que je prendrai beaucoup de plaisir ! Et j’aime bien avoir un œil extérieur sur ce que je fais. Je ne pense pas être assez autonome comme comédienne pour me dire « ça se joue comme ça et c’est tout ». Et c’est bien d’être à l’extérieur, de les regarder faire. Par contre, jouer un second rôle de temps en temps, ça pourrait me plaire. Mais le fait de ne plus être comédienne, ça m’a soulagée ! Ce n’est pas évident, le quotidien des comédiens. Je préfère mille fois celui des réalisateurs. On travaille plus, plus souvent. Ça me convient mieux ! La remise en question, en fait, n’est pas la même. Ça fragilise moins, je crois. Réalisateur, on juge vraiment votre travail. Comédien, la frontière est floue, c’est autant votre travail que votre façon de bouger, votre voix, ce que vous dégagez, le fait d’être pas assez ou trop comme ça : c’est étrange. J’adore les comédiens, j’aime infiniment travailler avec eux, je connais leurs fragilités et leurs forces, mais moi, ça me fait plutôt du bien de ne plus en être !

24I : Plus particulièrement, qu’est-ce qui vous inspire chez Laurent Lafitte ?
J. H. :
D’abord, c’est un acteur que je trouve intéressant parce qu’il est très complet. Il a un physique très classique et c’est quelqu’un qui est très surprenant. Au fil du temps, il s’est révélé dans plein d’endroits. Il a fait des trucs très drôles à la radio, du one-man show, il est entré à la Comédie Française, il fait de la comédie mais pas que. Il est très partant pour tout ! C’est un acteur qui va vraiment chercher les choses, qui mouille la chemise. Il est très drôle et physiquement, je le trouvais très crédible pour ce rôle de chanteur qui ne chante pas ! Il fallait quelqu’un qui puisse l’incarner pour que le spectateur puisse projeter qu’il a une voix, qu’il peut se mettre derrière un piano et remplir le Zénith. Il était parfait pour ça : c’est un homme de scène et ça se voit. C’est très agréable et simple de travailler avec vous.

24I : Avez-vous conscience que lorsque vous le filmez, il a parfois des faux-airs de votre père, Julien Clerc ?
J. H. :
J’en ai eu conscience quand je l’ai filmé et plus spécifiquement même quand on a pris les photos de lui en amont du tournage pour constituer toute la collection de Muriel. On l’a mis en situation de chanteur et là, à la première photo derrière un piano, ça m’a frappé ! Très fort. Je me suis dit « mais qu’est-ce qu’il lui ressemble ! ». Après, évidemment, ça a continué. Et je ne me suis pas débattu contre ça. En cherchant l’acteur, je n’avais pas du tout ça en tête, mais il se trouve qu’au bout d’un chemin assez long et chaotique qui m’a mené vers plein d’acteurs différents, c’est quand même lui qui fait le rôle et j’imagine que quelque part, ce n’est pas tout à fait un hasard.

24I : En même temps, dans l’écriture du rôle, vous ne l’avez pas ménagé, ce personnage de chanteur !
J. H. :
Je l’adore, mais oui, il découvre ses côtés sombres, on va dire. Mais je me suis aussi dit, à un moment, qu’on allait peut-être m’accuser de vouloir régler des comptes avec mon père. Mais pour moi, la frontière est très claire entre ce que le personnage a de mon père et là où il ne lui ressemble pas du tout. Il lui ressemble beaucoup dans le type de chanteur que c’est, dans le dessin général, dans ce qu’il provoque chez les femmes ou dans sa manière de mener son quotidien, de faire les courses comme un mec normal, même si chez nous, ça brassait beaucoup plus avec cinq enfants ! Par contre, dans son comportement, mon père est tellement honnête, droit, rigoureux, il n’aurait jamais pu faire le choix de mon personnage ! Je me suis laissée aller dans mon imaginaire et j’ai plutôt mis dans ce personnage mes côtés sombres à moi. Je pense que j’aurais pu faire ce qu’il fait, malheureusement (rires). Mais j’aurais aussi pu faire ce que fait Muriel, d’ailleurs !

24I : Et qu’est-ce qui vous a fait penser à Sandrine Kiberlain pour Muriel ?
J. H. :
J’ai toujours adoré son travail, depuis le début. Elle a 10 ans de plus que moi et quand elle est arrivée dans le métier, j’ai tout de suite adoré ce rapport qu’elle a aux rôles. Elle peut tout à fait interpréter la banalité et en même temps, être insolite. Elle est très complète et je voulais ça pour le personnage. Je voulais quelqu’un de fin, d’élégant. Quand elle joue les femmes du commun, elle donne toujours beaucoup d’élégance, de hauteur, de sensibilité. Et quand elle joue les femmes du monde, elle leur donne beaucoup d’humanité aussi. Et je trouvais qu’elle pouvait très bien incarner l’élégance qu’il fallait pour le rôle. À l’écriture, le personnage était très chargé : c’est une fan, elle est seule, mythomane… Il fallait quelqu’un de très fin pour transposer ça sans que ça soit lourd, pesant. Comme elle est très drôle et très émouvante, c’était vraiment la personne idéale. Quand elle a dit oui, ce qu’elle a fait très vite, c’était la bonne nouvelle.

24I : Donc, les rôles n’étaient pas écrits pour eux ?
J. H. :
Non. En fait, au départ, les rôles étaient plus âgés, c’était la génération d’avant. Je les ai rajeunis au fur et à mesure et quand c’est arrivé, j’ai pensé à elle tout de suite. Elle est attachée au projet depuis longtemps et a beaucoup aidé à le monter financièrement, parce que c’était compliqué !

24I : Quels ont été vos parti-pris de mise en scène pour cette histoire ?
J. H. :
En fait, ma plus grande expérience de mise en scène, c’était au théâtre, ce qui est différent, mais pas tant que ça. Il s’agit de coordonner tous les outils de la mise en image et de la mise en jeu pour raconter le mieux possible l’histoire qu’on a à raconter. Je n’avais pas de parti-pris formel autre que celui qui me permettait de raconter le mieux telle scène ou telle chose. Mais c’était important pour moi que l’univers soit réaliste sans être trop naturaliste non plus. J’ai beaucoup préparé mon découpage technique, les cadres, le placement des acteurs, le fait de composer ou non des tableaux… Comme c’est un film qui est très bavard et que je ne voulais pas les faire parler en mouvement, comme c’est le cas dans beaucoup de séries, j’avais beaucoup de scènes statiques. Donc, il fallait qu’il y ait un peu à manger et à voir dans le fond. Et puis, comme j’adore le travail des comédiens et que la caméra est une sorte de loupe, je voulais bien travailler aussi les visages. Il y a un truc aussi où je sais que je suis vraiment nulle, parce que fondamentalement, je ne le comprends pas, c’est la lumière. Je serai incapable moi d’éclairer quelqu’un ! Donc, je suis obligée de m’en remettre absolument et complètement à mon chef opérateur qui lui a transformé techniquement ce que j’ai pu lui donner en sensibilité. Ça a été un travail en amont, se bâtir comme ça un terrain d’entente. On a regardé des films ensemble pour pouvoir affiner une direction artistique commune que lui a transformé concrètement.

24I : À part pour ce travail sur la lumière, aviez-vous des films-références pour bâtir celui-ci ?
J. H. :
Oui, j’en avais plusieurs, même. Harry, un ami qui vous veut du bien que j’ai adoré et qui mélangeait très bien les tons, comme ce que je voulais faire et qui était un peu casse-gueule comme ambition. Crimes et délits et Matchpoint de Woody Allen ont aussi été deux références. C’est un très grand metteur en scène qui aussi arrive très bien à faire la synthèse des tons, je trouve. Et puis, il y a Garde à vue de Claude Miller, avec Michel Serrault et Lino Ventura qui m’a beaucoup marqué, parce que c’est un huis-clos qui est très très bien mis en scène.

Propos recueillis pas Helen Faradji lors des Rendez-Vous du Cinéma Français organisés par Unifrance à Paris, janvier 2015.

 

La bande-annonce d’Elle l’adore


2 juillet 2015