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Entrevues

Entrevue avec Nicolas Bary

par Helen Faradji

ENTRE HOMMAGE ET SINCÉRITÉ

Nicolas Bary (Les Enfants de Timpelbach) transpose en images l’univers mi-fantastique, mi-polar imaginé par Daniel Pennac. Une gageure tant l’écrivain a su ciseler un style mouvant, complexe, mêlant genres et influences pour mieux célébrer le pouvoir du conte et de l’imagination. C’est avec les honneurs que le jeune cinéaste s’en tire, ne confondant jamais exercice d’adaptation et flagornerie sans intérêt. Inventif et chaleureux, son Bonheur des ogres prouve que oui, parfois, le film est aussi bien que le roman.

24 Images : Depuis la publication d’Au bonheur des ogres en 1985, Daniel Pennac a toujours refusé qu’il soit adapté au cinéma. Comment avez-vous fait pour le convaincre ?
Nicolas Bary :
Je l’ai dragué ! (rires). Non, mais je pense qu’il a été séduit par mon enthousiasme et par, probablement, une forme de naïveté aussi que je peux avoir. Il a senti en tout cas une envie très très forte de ma part. Et puis, comme c’est quelqu’un qui aime bien transmettre, le fait que je sois un jeune réalisateur lui plaisait bien. Du coup, on a pu avoir une relation très chouette, empreinte d’affection comme celle d’un aîné et de son jeune Padawan ! En fait, la première fois que je l’ai rencontré pour ce projet, il m’a dit qu’il n’y tenait pas. Je lui ai donc écrit une longue lettre suite à cette rencontre, puis je lui ai envoyé mes courts et mon premier long, Timpelbach et je crois qu’il a vu qu’il y avait un véritable cousinage d’univers entre nous

24I : Et vous, que vouliez-vous amener dans cet univers de Pennac ?
N. B. :
À l’image de son écriture, j’avais envie de faire un film très énergique. Mais je dois dire aussi que je me sentais assez à l’aise avec tous les éléments : j’ai des frères et sœurs beaucoup plus jeunes dont je me suis souvent occupé, je m’identifie facilement à Malaussène. Par ailleurs, j’avais envie de faire un film contemporain, à Paris, mais qui resterait toujours dans le registre du conte. De plus, je viens d’une famille de musiciens classiques, mais j’ai toujours voulu toucher à tout en musique, de la basse, de l’électro, parce que j’aime vraiment l’association et la fusion des styles et le côté kaléidoscopique du roman, avec ses moments assez sombres, presque violents, mais aussi toujours funs, à l’image du titre antinomique, me parlait vraiment. J’ai donc eu envie de respecter cet aspect tout en modernisant le roman qui a tout de même près d’une trentaine d’années. Je voyais que dans la direction artistique, notamment, il y avait de la place pour inventer des choses, en essayant d’être uchronique ou rétro-moderne.

24I : Justement, devant un univers qui mélange autant les styles, les genres, les approches, les tons, quel était pour vous le principal défi de le mettre en images ?
N. B. :
Effectivement, le fait de devoir marier cette approche très sincère qui relève de l’intimité au côté plus spectaculaire que je voulais pour réussir un film d’aventures et de divertissement, tout en flirtant avec ce mélange des genres, c’était la gageure. Trouver cet équilibre qui tient sur un fil et réussir une histoire qui n’était pas narrée dans un style complètement défini tout en restant familial, c’était aussi ce qui rendait ce projet intéressant. Je voulais que le spectateur se demande où les choses s’en vont, qu’il soit même parfois un peu pris de court. Mais c’était la principale difficulté, d’ailleurs même sur le tournage où j’étais constamment pris entre mon envie de faire un film très visuel mais aussi de laisser place à de l’improvisation, à une liberté de cadrage, à chercher les imprévus. J’ai donc choisi d’être très préparé avant.

24I : Vous avez travaillé par storyboard, n’est-ce-pas ?
N. B. :
Oui, tout le film l’est. Et au tournage, je pouvais être plus libre. C’est comme une recette de cuisine : on prépare tous ses ingrédients, on s’organise, et au moment de faire, on laisse la recette de côté, on goûte, on change, on ajuste, et on essaie de trouver son style à soi comme ça. C’était ça, en fait, réussir un film qui respecte l’univers de Daniel Pennac et qui me ressemble en même temps. Mes amis proches trouvent en tout cas qu’il me ressemble sur pleins de choses

24I : Vous ne trouvez pas, vous ?
N. B. :
Si, mais c’est difficile d’avoir ce recul là, surtout après quatre ans passés sur un projet, durant lesquelles on évolue. Sur mes autres films, c’était pareil. Il me faut plusieurs années avant de pouvoir les revoir et de réaliser ce genre de choses. Sur celui-ci, c’est encore plus marqué car il a été très perturbant pour moi. Il a été conçu dans un doute permanent. Il y a des projets qui sont sur un rail plus défini. Mais là, comme pour le personnage principal en fait, je jouais constamment les équilibristes et j’ai cherché à ce que le film se fasse aussi comme ça.

24I : Une des forces de Pennac est son sens de l’image, notamment quant à ses personnages qu’on imagine par la lecture très facilement. Comment avez-vous trouvé vos acteurs, dans ce contexte ?
N. B. :
Pour Malaussène, j’ai cherché un acteur qui amenait de la comédie en me disant que ce personnage pouvait vite être un peu passif, voire un peu mou, donc il fallait quelqu’un qui amène de l’énergie pour ne pas qu’on le lâche. Raphaël Personnaz, je l’ai rencontré il y a une dizaine d’années sur un tournage de long où je faisais la régie, on est devenus copains et je l’ai redécouvert dans le film de Tavernier, La princesse de Montpensier, où j’ai trouvé qu’il avait cette dimension de comédie dans son jeu, par des toutes petites touches, légères, d’humour et d’énergie. Et là, dans le Bonheur, je le trouve super, tout ce qu’il fait est entraînant. Après, je cherchais des comédiens qui apportent quelque chose d’attachant, qui ne créent pas de distance entre le personnage et le spectateur. Par exemple, Sainclair est un type très froid mais Guillaume de Tonquédec lui apporte une vraie douceur. Ou Stojil, qui a cette aura plus sombre mais à qui Kusturica apporte ce côté vieil ours mal léché mais sympathique. Et je voulais aussi des acteurs qui physiquement soient assez dessinés, qui aient un style

24I : Bérénice Béjo, qui interprète Julia, vous semblait correspondre à cette idée également ?
N. B. :
Je n’ai pas pensé à elle rapidement, en fait. Je sais qu’elle était très fan de Pennac, mais ce que je me suis dit en la rencontrant, c’est qu’elle allait amener quelque chose d’assez spontané et que ça donnerait à leur histoire d’amour un aspect de séduction presque ludique. Ce que j’aimais, c’est qu’elle n’amenait pas ce côté trop sexuel, trop cash « je prends les rênes », trop brutal ce qui aurait pu être plus vulgaire

24I : C’est votre deuxième adaptation. Qu’est-ce qui vous plaît dans ce processus ?
N. B. :
À la base, je crois que j’étais plus motivé à l’idée de faire du cinéma par le côté chef d’orchestre. Faire cohabiter des énergies, faire travailler des gens ensemble, être entrepreneur de projets, plus même qu’être auteur de scénario ou d’une histoire. Pleins d’histoires me passionnent, mais dès le début, j’ai toujours été dans une dynamique de réalisateur-producteur plus que de scénariste-réalisateur. Et l’idée de l’adaptation marche bien avec ça. Mon prochain film, par contre, c’est un scénario original, mais je dois dire que j’ai bien aimé le principe de l’adaptation parce qu’on se passionne pour ce qu’on lit, et on agit ensuite comme des compositeurs qui ont fait des opéras sur des textes d’auteurs préexistants qui les ont inspirés.

24I : D’ailleurs, votre passion pour les romans de Pennac remonte à quand ?
N. B. :
Au collège, je l’avais commencé, mais c’était une période où je ne finissais jamais les livres que je commençais ! C’était en 3eme, je me souviens qu’une copine l’avait lu et m’en avait parlé. J’avais bien aimé le style, mais j’avais tendance à ne pas finir ce que j’entreprenais. Par contre, je l’ai redécouvert dans les semaines qui ont suivi la sortie de mon premier film, alors que je cherchais mon prochain sujet. Une amie m’avait parlé d’un texte de Melville, et quelques jours plus tard, j’ai vu que Pennac lisait ce même texte publiquement. Une association d’idées s’est faite, avec cette idée de bouc émissaire qui me plaisait bien. Je suis donc allé rechercher son livre en bibliothèque. Et dès les premiers chapitres, ça a été une évidence pour moi. D’ailleurs, c’est drôle, en le lisant, je ne me demandais absolument pas comment j’allais adapter l’histoire, la narration, mais je voyais que tout me correspondait parfaitement. Les difficultés sur l’écriture sont venues plus tard, une fois que Daniel Pennac m’a donné les clés de la voiture. C’est un projet qui était très complexe à maîtriser pour l’écriture, car le style de Pennac est très fort et en plus, lorsqu’on déplie l’intrigue du livre, on voit bien qu’énormément de choses ne collent pas pour un film. On a donc du en changer beaucoup, mais j’ai essayé que les transformations, même de fond, respectent toujours l’esprit. En outre, je voulais moderniser, pour ne pas tomber dans le côté nostalgie des années 80 qui peut être un peu désuet. Mais l’idée de transcrire le style de Daniel Pennac a toujours été au cœur de mes préoccupations.

24I : Avez-vous dans l’idée d’adapter les autres ?
N. B. :
On y a réfléchi en se disant que si le film marchait, il pourrait y avoir une suite. Pour l’instant, ce n’est pas le cas, il n’a pas eu de succès en France. Il est sorti en même temps qu’énormément d’autres films, comme Gravity, les films de Besson, Jeunet ou Dupontel. Et par ailleurs, la promotion s’est faite, selon moi, un peu trop sur un côté « film pour enfants », ce qui ne me paraît pas à être à 100% le positionnement du film. Pas que les enfants ne peuvent pas y aller, mais ce n’est pas la cible. Du coup, il a un peu loupé la marche. Mais il se vend bien à l’étranger…

24I : Et Daniel Pennac, lui, qu’est-ce qu’il en a pensé ?
N. B. :
Il est content ! On est allés le présenter ensemble au festival de Rome. Ca a vraiment été une vraie belle rencontre qui a fait de tout ça une belle aventure humaine. Maintenant, il m’invite dans sa maison de vacances (rires). Pour moi, c’est aussi vraiment ce qui était important. Finir avec l’auteur qui rejette l’adaptation m’aurait rendu assez triste. Je crois qu’il voit qu’il y a là la même sève, que le film et le livre sont cousins. Je pense qu’il ne se sent pas trahi et c’est ce qui compte.

 

Propos recueillis par Helen Faradji en janvier 2014 à l’occasion des Rendez-Vous du cinéma français à Paris organisé par Unifrance.

 

La bande-annonce d’Au bonheur des ogres


20 février 2014