Entrevue avec Olivier Nackache
par Helen Faradji
LA FABLE DU MIGRANT ET DE LA DÉPRESSIVE
Depuis 10 ans, Samba, immigré sans-papier sénégalais, travaille et vit en France. Alors qu’il cherche à régulariser sa situation, il rencontre Alice (Charlotte Gainsbourg), cadre supérieure en congé pour burn-out et bénévole dans une association d’aide aux migrants. Après Intouchables, Olivier Nakache et Éric Toledano retrouvent Omar Sy pour mêler réalisme social (Samba a notamment été tourné dans de véritables centres de rétention et tribunaux), comédie romantique manquant un rien de chair et fable comique au cœur résolument sur la main. Moins farcesque et plus sensible ? Nous avons rencontré Olivier Nakache pour en parler.
24 Images : Samba est adapté du livre de Delphine Coulin (Samba pour la France). Qu’est-ce qui vous semblait cinématographique dans ce récit ?
Olivier Nakache : C’était son réalisme. C’est un livre très documenté. Delphine Coulin a été bénévole durant cinq ans auprès de sans-papiers, et c’était, pour nous, une excellente porte d’entrée vers cet univers. Et il nous a fait gagner énormément de temps. On savait déjà qu’on voulait parler de ce sujet et il nous a aidé à en savoir plus plus rapidement. Bien sûr, le film est très différent, parce que le livre n’est pas comique du tout ou encore parce que le personnage d’Alice n’y existait pas. Nous avons donc ajouté certains éléments, comme le burn out, avec l’idée de raconter une histoire d’amour dans un contexte social particulier et très fort. Et surtout, au-dessus de tout cela, nous voulions absolument faire une comédie. C’était tout un cocktail ! Et on est des barmans !
24I : À part le livre, comment vous êtes vous renseignés sur l’univers des petits boulots, de la précarité ?
O. N. : On a fait des enquêtes. Même si avec Éric, on a fait des centaine de petits boulots, ce n’était absolument pas comparable à ce que peuvent vivre les sans-papiers. On a pu en côtoyer beaucoup avant de commencer l’écriture. En fait, pour éviter toute caricature, on a été vivre dans des associations, on a été dans des tribunaux, on a été aidé par des policiers qui nous ont emmené dans des centres de rétention pour essayer d’être le plus juste et le plus vrai possible. Et je peux vous dire que ça marque : on ne ressort pas la même personne après avoir passé une journée dans une de ces associations. C’est un sujet trop complexe ou trop émotionnel pour en dire ou en montrer n’importe quoi. Bien sûr, on voulait faire un film, pas un documentaire, mais dès qu’on a eu la vraie matière, on a pu construire le personnage de Jonas, la rencontre avec Alice, le personnage joué par Tahar Rahim… On a pu amener le cinéma et la comédie dans ce décor.
24I : Durant toutes ces recherches, qu’est-ce qui vous a surpris le plus ?
O. N. : Plusieurs choses. D’abord, ça nous a confirmé qu’on pouvait bien mêler la comédie à certaines situations graves, notamment dans ces associations d’aide aux sans-papiers. Quand on entre dans une de ces associations, comme la Cimade où nous étions, il n’y a que de vieilles dames retraitées et des jeunes gens bénévoles au milieu de tous ces migrants, ils vivent ensemble, partagent leurs idées. Souvent, entendre les histoires des migrants est très difficile, mais parfois, il y a aussi beaucoup d’humour, de situations de comédie, comme lorsqu’une vieille dame avec deux appareils auditifs n’entend rien et fait répéter plusieurs fois à son interlocuteur son pays d’origine. C’est triste et drôle en même temps. Nous avons rencontré beaucoup de Samba pendant nos recherches, des hommes venus d’Afrique et qui envoient chaque mois tout l’argent qu’ils gagnent à leurs familles restées là-bas, et c’est avec ces rencontres que nous avons construit ce personnage. Nous avons simplement essayé d’ajouter du cinéma par-dessus toutes ces histoires vraies que nous avons entendues.
24I : Quelle a été pour vous la principale difficulté de ce tournage ?
O. N. : Il fallait que nous gardions notre focus. Nous voulions faire une comédie et une histoire d’amour et notre ambition était d’arriver à placer la dimension humaine de l’histoire au-dessus de la situation. Pour montrer qu’au fond, tout n’est qu’une question d’humanité : « parlons-nous les uns les autres et tout le reste peut s’évanouir ». On voulait aussi faire très attention à ce que soient balayés tous les clichés associés à l’immigration illégale. Nous savions que le sujet est extrêmement délicat, et pas seulement en France : les situations sont très difficiles, beaucoup en meurent, les gens souffrent. Nous ne voulions pas, même si c’est une comédie, le traiter à la légère. Il s’agissait aussi de mettre dans la lumière ceux qui habituellement restent dans l’ombre, qui sont en marge.
24I : Comment avez-vous choisi vos acteurs ? La chimie n’était pas évidente sur le papier…
O. N. : Nous voulions une actrice qui soit très éloignée d’Omar Sy, parce que nous croyons fermement que cet éloignement crée une chimie particulière et qu’en outre, ça nous permettait de créer un effet de surprise pour le spectateur. Et Charlotte Gainsbourg vient vraiment d’un univers de cinéma différent de celui d’Omar Sy ! En fait, avant même d’écrire un mot, nous sommes allés rencontrer Charlotte pour savoir si elle voudrait bien faire un film avec nous. Elle nous a répondu « oui, mais je ne suis pas très drôle ! ». Ce à quoi nous lui avons dit « fais-nous confiance ! ». Un an plus tard, nous lui avons apporté le scénario. L’idée de ce couple préexistait vraiment au film. Nous avions follement envie de travailler avec elle. Et l’idée de cette fille toute grise, toute pâle à qui Samba va redonner des couleurs, malgré sa situation à lui, lui allait parfaitement.
C’est la même volonté de surprendre qui nous a fait choisir Tahar Rahim. C’est un type extrêmement drôle, très énergique, qui a énormément de charme et nous voulions explorer ces aspects de lui, moins exploités jusqu’ici. Il nous a fait confiance et après avoir lu le script, en riant, il nous a dit « mais je ne dois tuer personne ? ». Ca a été formidable pour lui et nous. Il y aura une deuxième fois avec lui, c’est sûr ! Et le duo avec Omar Sy fonctionne vraiment bien : ce gars plus petit, mince, aux cheveux longs, plein d’énergie à côté d’Omar, beaucoup plus grand, calme et massif.
24I : Et pourquoi avoir voulu retravailler avec Omar Sy ? Qu’est-ce qui vous inspire chez lui ?
O. N. : En fait, avec Éric, on se sent en parfaite symbiose avec lui. Je ne l’explique pas vraiment, mais on est sur la même longueur d’ondes. On travaille très vite avec lui. Lorsqu’on tourne, on parle beaucoup à nos acteurs sur le plateau, durant les prises. Et avec lui, quand on lui dit, « Allez, Omar, dit ça, essaie ça », je sais qu’il va dire ce que je lui demande, mais mieux ! L’avoir sur un plateau, c’est comme jouer au football avec Ibrahimovic ou Messi dans ton équipe. Il est à l’aise dans la comédie, le drame… Il est merveilleux ! On va faire encore 10 films avec lui, c’est sûr.
24I : Comment avez-vous travaillé l’équilibre, parfois même dans la même scène, entre la dimension sociale, même politique, du récit et l’aspect comédie que vous vouliez lui donner?
O. N. : Dans tous nos films, on essaie de faire la même expérience, de construire un grand huit émotif qui amène du chaud au froid, du haut au bas, et vice-versa. On l’a fait avec Intouchables, mais on voulait le faire encore davantage dans Samba, en raison du contexte socio-politique très profond qui entoure cette histoire. On ne pouvait pas ignorer les graves difficultés rencontrées par un homme comme Samba. On a donc pensé l’injection de comédie comme un crescendo : on commence le film dans le plus grave pour ancrer le sujet dans un réalisme fort pour ensuite pouvoir saupoudrer de la comédie par-dessus
24I : Quelle a été votre approche de la mise en scène ? Et en particulier, comment est venue l’idée de ce plan-séquence d’ouverture très fort ?
O. N. : D’abord, je dois dire qu’avec Eric, durant nos tournages, on est obsédés par l’idée de trouver le miracle qu’on ne pouvait pas prévoir à l’écriture. Sur le plateau, avec les acteurs, les décors, tout est installé… et parfois, il faut guetter ce miracle ! Parce que c’est là qu’est le vrai. Pour que ça arrive, on fait énormément de prises en essayant beaucoup de choses. Notre producteur devient fou, mais c’est comme ça qu’on fonctionne : avec beaucoup de rushs ! On ne peut choisir et monter que si on a beaucoup d’options. Avec Samba, et ce plan-séquence, on voulait vraiment rendre hommage au cinéma qu’on aime et qui nous fait rêver, celui de De Palma, de Scorsese… On a donc insisté pour faire ce plan-séquence de plus de deux minutes pour ça, mais aussi parce qu’il résume le film d’une certaine façon : on vous emmène dans une fête, dans la lumière et puis venez avec nous voir les hommes qui mettent le charbon dans la machine et qui font en sorte que la société fonctionne.
24I : Tout à l’heure, vous expliquiez que vous aviez dit à Charlotte Gainsbourg qui s’inquiétait de ne pas être drôle de vous faire confiance. Avez-vous le sentiment que vous pouvez rendre n’importe quel acteur drôle ?
O. N. : Je ne sais pas. Je ne crois pas qu’un acteur peut tout jouer. Je pense qu’ils ont des spectres, des éventails et que lorsqu’on est en dehors de cet éventail, parfois ça ne marche vraiment pas bien. Par contre, on peut élargir le spectre. Certains acteurs sont à l’aise dans la comédie et le drame et je crois qui si on décèle ça chez eux, on peut mettre un acteur dans une situation de comédie sans problème. Y’en a avec qui, au contraire, c’est trop compliqué. Niels Arestrup par exemple, je ne sais pas si on y arriverait (rires)… Pour Charlotte, on avait vu Ma femme est une actrice où elle est drôle. Mais surtout, on avait envie d’utiliser tout ce qu’elle représente face à Omar pour amener la comédie. Dans le film, elle lance quelques vannes, mais la comédie vient plus des situations, ce qui est différent d’Intouchables d’ailleurs. Dans Intouchables, Omar est un sniper, il envoie vannes sur vannes, ce avec quoi Eric et moi on est à l’aise. Mais là, il fallait dégager la comédie d’autre chose. C’est là où on a décidé d’être un peu plus ambitieux. Par ailleurs, c’est plus facile d’amener des gens de la comédie dans le drame, comme Coluche l’avait fait avec Tchao Pantin, comme Auteuil l’a fait avec Ugolin… En France, il y a même cette expression : « il va faire son Tchao Pantin ». Et bien nous, on a voulu faire l’inverse avec Charlotte et Tahar, les amener du drame à la comédie!
24I : Nous vous rencontrons une semaine après les attentats à Charlie Hebdo et en particulier après que Lassana Bathily, le jeune Malien sans papiers, ayant sauvé plusieurs clients de l’Hypercacher Porte de Vincennes, ait été naturalisé. Samba, c’est aussi un peu lui…
O. N. : Vous savez, je pense que ce qui vient de se passer va laisser des traces dans tous les domaines, l’artistique bien sûr aussi. C’est un tel électrochoc. Mais c’est vrai que l’histoire de cet homme fait résonner Samba encore autrement. Pour vous dire la vérité, on a été tellement sonnés par ce qui s’est passé, que je n’ai pensé à cette correspondance entre le sujet de notre film et cet homme qu’aujourd’hui. C’est assez troublant. Tout à l’heure, quelqu’un me demandait si après ces événements, je pensais qu’on allait davantage stigmatiser les sans-papiers, mais les gars qui ont fait ça sont Français, pas sans-papiers ! C’est un problème de l’intérieur. Les sans-papiers qui arrivent ici ne font pas de vagues, ils travaillent presque 24 heures sur 24… Lassana va être naturalisé après son acte héroïque. La reconnaissance de l’État français pour ce qu’il a fait, c’est vraiment la moindre des choses.
Propos recueillis par Helen Faradji lors d’une table ronde durant les Rendez-Vous du cinéma français, organisés par Unifrance à Paris, janvier 2015.
La bande-annonce de Samba
5 février 2015