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Entrevues

Entrevue avec Philippe Muyl

par Helen Faradji

Une petite fille citadine jusqu’au bout des ongles retourne avec son grand-père dans le village natal de ce dernier, déterminé à lui rappeler que l’essentiel est ailleurs. Entièrement tourné en Chine dont il sublime les décors naturels, avec des acteurs locaux, sous la houlette d’un réalisateur français, Le promeneur d’oiseau fait tourner la roue de la fable familiale sans heurts ni grincements. Nous avons rencontré Philippe Muyl (Le papillon).

24 Images : Un réalisateur français qui part en Chine, réaliser un film avec des acteurs chinois, ce n’est pas banal. Quelle a été la genèse du Promeneur d’oiseau ?
Philippe Muyl :
Je n’aurai jamais pensé qu’un jour, j’irai faire un film en Chine, et en chinois en plus ! Mais en 2009, je suis allé à un festival à Pékin et j’y ai rencontré des jeunes producteurs, elle chinoise et lui français, qui n’avaient pas encore produit de longs-métrages, qui avaient envie de se lancer dans cette aventure. Les accords de coproduction entre la France et la Chine venaient d’être signés. J’avoue que j’ai commencé par dire non : je ne connaissais pas la Chine, je ne parle pas le mandarin, je ne connais pas les acteurs. Mais j’ai eu envie d’essayer au bout de quelques mois. Il fallait d’abord que j’aille découvrir la Chine, voire comment ça marche là-bas, un peu plus en profondeur. Et voilà ! Et c’est aussi grâce à un film que j’avais fait, Le papillon, qui est très connu là-bas que j’ai pu avoir cette sorte de lien naturel avec ce pays.

24I : Et quels a priori aviez-vous sur ce pays avant d’aller y tourner ?
P. M. :
Je n’en avais pas beaucoup. Ou en tout cas, ils étaient positifs. Je savais qu’il y a là-bas un grand cinéma, avec de grands réalisateurs, de l’argent aussi. Ces a priori se sont un peu réduits avec le temps, je dois dire. Oui, il y a de grands réalisateurs mais surtout dans le passé. Ils ont un peu baissé les bras…

24I : Jia Zhangke est encore là !
P. M. :
Oui, bien sûr, mais je ne le mets pas dans les anciens, comme Chen Kaige ou Zhang Yimou qui ont même plus que baissé les bras. Mais Jia Zhangke, ce n’est pas la même chose. Il fait des films puissants, solides, vraiment intéressants. Et il n’est pas dans le système, il fait ses films hors de ça, contrairement à Zhang Yimou qui est complètement dans la machine chinoise, dans l’institution, et s’est un peu perdu en route alors qu’il a fait des films qui sont des monuments.
Mais mon a priori sur l’argent est aussi tombé et de haut, parce que oui, il y a de l’argent, mais pas pour le genre de films qu’on voulait faire ! Du début à la fin, ça a été très compliqué, une galère sans fin !

24I : Dans un pays qui n’a pas la réputation d’être particulièrement tendre avec la liberté d’expression, avez-vous pu tourner exactement ce que vous vouliez, comme vous le vouliez ?
P. M. :
Tout le monde a affaire à ça, pour dire la vérité. On ne fait pas un film en Chine sans passer par la censure. Au scénario et sur film fini. Il n’y a pas de comité, ou en tout cas, on ne sait pas qui en fait partie, on reçoit simplement un jour une note qui peut dire « ça, ce n’est pas possible, ça, il ne faut pas le faire ». J’avoue que dans mon cas, ça n’a concerné que deux, trois détails sans importance, mais jusqu’à la fin, on se fait du souci, parce ça peut très bien arriver, comme ça, sans explication, qu’une scène doive tomber.

24I : Votre film oppose la modernité de la ville, très design, frénétique et les traditions des petites villes de campagne et donne l’impression d’un pays véritablement pris entre les deux, le passé et le futur…
P. M. :
C’est effectivement un pays pris entre les deux. Je dis souvent, la Chine, c’est un train qui file à 500km/h au-dessus de villages du Moyen-Âge. Cette dichotomie, ce contraste entre la richesse, bien plus grande que celle qu’on voit chez nous, exhibée, la modernité technologique et des villages qui vivent de l’agriculture comme il y a 100 ans chez nous, existe. Les gens vont encore battre le riz à la main… la Chine d’aujourd’hui est comme ça. Ce que je montre dans le film, même si par goût personnel, je préfère toujours montrer les choses belles plutôt que laides, ce sont des choses vraies. Si on va en Chine, par contre, on verra aussi ce que je ne montre pas comme le train de Pékin vers le sud qui traverse des kilomètres de villes en construction avec des immeubles horribles de 50 étages serrés les uns contre les autres…

24I : Dans votre dossier de presse, vous dites avoir été inspiré par la philosophie du judo pour réaliser ce film. Que voulez-vous dire ?
P. M. :
En fait, il y a une attitude à avoir quand on va dans un pays qui fonctionne vraiment différemment, avec une mentalité différente comme ça : il ne faut pas chercher à imposer son point de vue et sa façon. Il faut laisser son cerveau français, occidental, à la maison et bouger avec eux, prendre leur façon, leur énergie et récupérer ça. C’est comme au judo ! Le judo, ça ne consiste pas à battre, mais à se servir de la force et du déséquilibre de l’autre. C’est ce que j’ai fais : me servir de ce qui pourrait apparaître aux yeux d’un occidental comme leurs défauts et de leur façon de faire, pour réussir.

24I : Le principal défi de ce tournage pour vous, c’était quoi ?
P. M. :
C’était qu’on ne voit pas que le film n’est pas fait par un Chinois. Est-ce qu’un producteur français dirait à un réalisateur américain de venir faire un film français ? Non ! C’était une folie. Mais l’Américain qui accepterait, s’il existe, devrait pour réussir avoir l’intelligence d’oublier qu’il est américain.

24I : Ce que ferait un Woody Allen, par exemple…
P. M. :
Oui. Il est new-yorkais, plus qu’américain, ceci dit ! Mais il pourrait.
Et pour moi, la principale difficulté, c’était donc de ne pas tomber dans le cliché, de ne pas faire d’erreur. Il fallait que les gens qui voient le film ne puissent pas penser que le film a été fait par un Français!

24I : Comment choisit-on ses acteurs, dans ce contexte particulier ?
P. M. :
Je vais faire une réponse de philosophe : les mots sont faits pour mentir, pour ne pas dire les choses ! Bon, je comprenais un peu, mais pas bien, donc je regardais la personne, tranquillement, pendant la traduction, pour voir ses réactions. On choisit à l’instinct, à l’intuition. Ça se voit, une actrice qui est seulement en représentation, le narcissisme exacerbé… Et il y a autre une difficulté, c’est que les comédiens asiatiques manquent parfois de sobriété. Comme ils ne font pas là-bas de son direct, tout est en post-synchro et ils ont donc tendance parfois à surjouer, d’autant que leur mixage a tendance à mettre toujours la voix en avant. Ce n’est pas nécessairement leur jeu, mais une question de technique. Sur place, ils étaient d’ailleurs bien étonnés de me voir débarquer avec seulement un ingénieur du son et son perchman !

24I : Comment avez-vous abordé la mise en scène ?
P. M. :
Avec mon chef opérateur, on a regardé quelques films chinois, mais surtout pour les acteurs, comme Le dernier voyage du juge Fang où jouait celui qui est mon grand-père et qui est sobre. Je lui ai dit que je n’aimais pas vraiment les caméras qui bougent et qu’il devrait donc m’y pousser un peu. Sinon, j’ai fait comme d’habitude. Ce qui m’intéresse, ce sont les acteurs dans le cadre, pas la caméra et ce qu’elle est capable de faire. Je veux qu’on ait le temps d’observer les acteurs, leurs regards. Pour l’émotion, je pense que c’est mieux.

24I : Le film est un récit initiatique : qu’est-ce qui vous plaît dans cette forme ?
P. M. :
Je n’aime pas le cinéma réaliste. Je peux voir des films réalistes avec plaisir, mais je trouve que notre cinéma est souvent d’inspiration trop réaliste : les réalisateurs ne connaissent pas d’autres univers que leur petit monde, ils font des films sur les films, ils n’ont jamais travaillé dans une usine… J’aime bien, moi, le réalisme poétique : commencer sur un registre réaliste et tordre un peu l’histoire pour que ça devienne un conte. Je trouve que ce qu’il y a d’intéressant, c’est que ça donne une universalité au propos. Ce film est chinois, mais on aurait pu faire le même au Mexique, parce que ça parle de choses éternelles, tout le monde cherche la même chose, l’harmonie, aimer, être aimé… Pour moi, la famille n’est pas mon modèle social idéal, c’est le lieu de toutes les névroses, mais faute de pouvoir vivre en tribu, c’est le meilleur ! Après, les choses auxquelles je pense maintenant sont différentes et comme je dois me renouveler pour éviter de me répéter, ça va sûrement changer ! Mais il faut que ça reste sincère, authentique. Moi, je cherche à être ému et je ne le suis pas souvent. Je m’ennuie souvent. Hier, je suis allé voir Wild Tales et c’est vraiment bien. Puissant, vrai. J’ai vu Ida, aussi, un beau film mais que je trouve trop obsédé par l’esthétique et je n’ai pas été ému, même s’il y a tout ce qu’il faut pour l’être. En fait, je n’aime pas les films qui ne servent à rien.

24I : Mais l’art n’est pas obligé d’être utilitaire !
P. M. :
Utilitaire, non, mais utile, oui !

24I : À vos yeux, qu’est-ce qui dans un film, dans le cinéma en général, peut transcender l’idée de frontière, la question de l’identité nationale ?
P. M. :
Ce sont les films qui parlent de la problématique humaine, des choses de l’humain, de la quête d’amour à la peur, la colère, tout ce qui anime nos vies, le vide spirituel, le respect pour les animaux et la nature, et l’humilité que ça impose aux humains…C’est universel, ça.

Propos recueillis par Helen Faradji lors des Rendez-Vous du Cinéma Français d’Unifrance, janvier 2015, Paris

 

La bande-annonce du Promeneur d’oiseau


18 mars 2015