Entrevue avec Tobe Hooper
par Céline Gobert
En 1968, Night of the Living Dead de George A. Romero a lancé le film de zombies. En 1977, The Hills Have Eyes de Wes Craven a exploré le survival. Au milieu, en 1974, Tobe Hooper, un réalisateur de documentaires inconnu, signe The Texas Chainsaw Massacre, premier slasher politique que connaîtra l’Amérique. Le film est un chef d’oeuvre du genre et influence encore le cinéma d’horreur contemporain. Afin de saluer l’ensemble de sa carrière (Poltergeist, Eggshells, Salem’s lot...), Fantasia lui remet cette année un Prix Honorifique et présente mercredi soir une version restaurée (résolution 4K et son 7.1) de son film culte. Nous l’avons rencontré à cette occasion pour qu’il nous parle de peur émotionnelle, de Spring Breakers et de torture porn !
24 images : Pourquoi avez-vous préféré vous lancer dans la restauration de The Texas Chainsaw Massacre plutôt que dans la réalisation d’un nouveau film ?
Tobe Hooper : Lorsque vous le verrez, vous pourrez penser qu’il est nouveau…. ! En fait, sauver le film était une obsession. La pellicule originale était en train de tomber en miettes, et nous l’aurions perdue pour toujours si nous avions attendu un an de plus. Je suis très fier de ce film, qui, d’une certaine façon, a influencé toute ma vie. Je ne voulais pas le perdre. Mais votre question est bonne… car oui, en effet, j’ai mis énormément d’énergie à restaurer ce film, autant que s’il s’agissait d’un nouveau film.
24i : Aviez-vous gardé en votre possession la pellicule 16 mm originale ?
TH : Non, c’est la compagnie de distribution qui a gardé l’originale, mais elle n’a pas été stockée avec grand soin… Elle était vraiment en mauvais état. Après restauration, nous avons maintenant un son Dolby 7.1 et on dirait que le film a été fait hier ! On l’a présenté pour la première fois au Festival de Cannes en mai devant quelques mille personnes… Le public était déchaîné !
24i : Vue la vieillesse de la pellicule, avez-vous fait face à des problèmes techniques durant le processus de restauration ?
TH: Oui, cela a nécessité tellement de travail ! Il a fallu nettoyer la pellicule, enlever toute la poussière, et toutes les rayures. On a utilisé divers algorithmes au cours du processus afin de nettoyer tout cela. Mais les possibilités de restauration qu’offre le digital sont incroyables ! Surtout que je voulais absolument garder le visuel, ainsi que le mixage son, de la version originale du film. Ted Nicolaou et Buzz Knudson avaient minutieusement mixé le son, je ne voulais pas ruiner leur travail. J’ai été capable de séparer le son, puis de le repositionner. Maintenant, au cinéma, le son surround est partout : au-dessus la tête, derrière la tête.
24i : Justement, le format 16mm donne une apparence vintage à l’image qui participait à l’horreur. Il y a aussi un côté found footage dans ce film. N’avez-vous pas eu peur de perdre quelque chose ?
TH : Je savais que les gens m’attendraient au tournant sur cette question et que l’on me critiquerait si je n’avais pas conservé le visuel que j’avais choisi au départ. Je me suis donc assuré que la restauration n’enlèverait rien à l’ambiance de la première version du film. D’ailleurs, si le visuel était si atypique dans le film original c’est parce qu’à l’époque, j’avais essayé de camoufler, avec le dégradé de couleurs, le fait que je tournais en 16mm.
24i : Votre œuvre, et de façon générale, votre horreur est très suggestive. Que pensez-vous du genre aujourd’hui et de la surenchère de violence de certains films ?
TH : Certains de ces films connaissent du succès mais je n’ai jamais mesuré les choses en terme de succès. Beaucoup de jeunes dirigeants ne veulent pas voir les mots ‘art’ et ‘cinéma’ connectés. Le cinéma est une créature émotionnelle. Par nature, l’art c’est de l’émotion. Ca vaut ce que ça vaut mais je pense que créer une image dans sa tête, par suggestion, est bien plus puissant que tout le reste. Peu importe ce que l’on montre au public, il peut ainsi imaginer quelque chose de bien plus dérangeant. Quand il y a suggestion, le spectateur est impliqué, il n’est pas qu’un simple voyeur. La conséquence émotionnelle est bien plus importante puisqu’il interagit, il s’oublie, il fait davantage que regarder : il participe.
24i : Pensez-vous que le rapport des gens à la peur et à la mort a changé depuis 1974 ?
TH : Quand j’ai commencé, l’ingrédient principal du film d’horreur était la peur de la mort. D’après ce que j’ai pu observer, la mort était alors le monstre ultime et parfait. Dracula vient de la tombe, Frankenstein vient de la tombe. Je ne pense pas que voir des cervelles exploser, par exemple, soit un bon chemin à explorer puisque vous pouvez voir tout ça à la télévision ! Le monde va tellement mal …. qu’il est impossible d’aller dans une autre direction ! Nous n’avons pas encore trouvé plus effrayant que la mort personnifiée. Le rapport du public à la mort est différent, mais il est moins émotionnel qu’avant.
24i : Il est plus visuel ? Réalisé aujourd’hui, The Texas Chainsaw Massacre aurait été un torture porn ?
TH : Probablement. D’ailleurs, si l’on regarde le remake, le seul plan qui valait la peine était celui sur le ‘…..’ de Jessica Biel (il me montre son derrière). (Rires). Euh… je ne veux pas paraître offensant. (Rires). Dans le remake, Leatherface portait un masque parce qu’il n’avait pas de nez. Ils ont tenté d’y insuffler une sous-intrigue où il aurait été traumatisé ou quelque chose comme cela. Dans le film original, il y a simplement des gens qui n’arrêtent pas d’entrer chez lui ! Et il se demande d’où viennent tous ces gens ! Je connais beaucoup de gens qui font du torture porn. Pour eux, la peur est la même chose que la répulsion, et avoir peur veut dire ne pas être capable de pouvoir regarder quelque chose. Ce n’est pas la peur émotionnelle dont je vous parlais. Il ne s’agit que d’émotions de surface, grotesques. Comme regarder quelqu’un se faire couper une oreille.
24i : Le film prend place à un moment très spécial dans l’Histoire des Etats-Unis : la guerre du Viêt Nam, l’exploitation grandissante des animaux. Pourquoi pensez-vous que le film a encore tant d’impact sur le public d’aujourd’hui ?
TH : Parce que c’est la même chose aujourd’hui ! Voire même que cela s’est amplifié culturellement. C’est pour cela que ceux qui n’ont pas vu le film original ont l’impression qu’il s’agit d’un nouveau film, ils peuvent s’y référer au même niveau que le public de l’époque.
24i : Votre jeunesse était quand même plus « new age », plus heureuse. Comment décririez-vous la jeunesse contemporaine ?
TH : C’est très différent aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est tellement…. Spring Breakers ! Voilà ce qu’est la jeunesse américaine. C’est un autre genre de ténèbres… Aujourd’hui, ce sont les « nerds ». Ce sont les « techies ». Une folie est en marche… Mais je ne préfère pas en parler, parce que si je le faisais cela ne ferait que vous rappeler ces choses terribles en train de se produire partout.
24i : Etes-vous d’accord pour dire que votre film est le premier slasher politique qu’ait connu l’Amérique ?
TH : Oui ! Pour le pire et le meilleur ! Après ça, on a vu les hommes porter des masques et utiliser des machines pour tuer les gens ! (Pause). Je pense avoir répondu à la question.
24i : Après toutes ces années de censure, vous voilà applaudi, reconnu. Qu’est-ce que cela vous fait d’être ici à Fantasia ?
TH : Je me sens super bien ! (Rires) Oui, une vingtaine d’années de censure, cela peut déranger un peu… En France, ce ne fut que cinq ans ceci dit. Les Français sont plus sophistiqués dans leur perception du cinéma et de l’art … Quoiqu’il en soit, je suis vraiment enchanté d’être ici à Fantasia.
La bande annonce de Texas Chainsaw Massacre
30 juillet 2014