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Entrevues

Entrevue avec Vincent Mariette et Vincent Macaigne

par Helen Faradji

Trois courts plus tard, Vincent Mariette signe son premier long, Tristesse Club et organise autour de la mort d’un père, sans gravité ni pesanteur, d’étranges circonvolutions entre deux frères (Vincent Macaigne et Laurent Laffite) et une jeune ingénue (Ludivine Sagnier). Ou peut-être pas. Nous avons rencontré le réalisateur et son acteur pour parler trio et mélanges des genres!

24 Images : Vincent Macaigne, vous aviez déjà participé au courts-métrage précédent de Vincent Mariette, Les lézards. Est-ce pour cette raison que vous avez voulu l’accompagner dans l’aventure de ce premier long ?
Vincent Macaigne :
Oui, absolument. Le court s’était très bien passé…
Vincent Mariette : Et puis on est copains aussi. Y’a le travail, oui, mais aussi le fait qu’on s’apprécie !

24I : Vincent Mariette, vous dites que la façon de jouer de V. Macaigne, sa méthode de travail ont influé sur votre façon de réaliser. Que voulez-vous dire ?
V. Mariette :
Sur Les Lézards, mon premier court, même si esthétiquement ou thématiquement, mon suivant, Double mixte, est plus proche de Tristesse Club, j’ai pu voir que Vincent travaillait beaucoup, qu’il aimait enchaîner les prises et ne pas s’arrêter. J’ai donc décidé de tourner sans couper, sans m’arrêter, ce qui était possible puisque j’étais en numérique. Les autres acteurs étaient aussi d’accord et les prises pouvaient parfois durer ½ heure ! J’ai vraiment trouvé ça intéressant parce que ça peut amener les comédiens vers des endroits de vérité ou étonnants, que l’on ne peut pas prévoir et qui sont provoqués soit par l’usure, soit par la répétition. Ça peut, ou pas, amener des lectures complètement différentes de la scène.

24I : Et vous, Vincent Macaigne, qu’est-ce qui vous inspirait dans ce personnage ?
V. Macaigne :
En fait, je ne me dis jamais « tiens, ce rôle est bien ou ce personnage m’intéresse ». Mais là, c’est vraiment l’univers de Vincent qui m’attirait. Bien sûr, ce personnage était plutôt drôle à jouer aussi. Mais principalement, c’est une question d’univers.

24I : Est-ce parce que vous êtes également metteur en scène que vous êtes peut-être plus sensible à cet aspect ?
V. Macaigne :
Peut-être. En tout cas, je sais que bizarrement, je crois plus au réalisateur, au metteur en scène qu’au personnage. Le scénario est important, mais je trouve que la personne qui le fait le teinte tellement qu’elle me semble plus importante et c’est elle qui me donne envie de participer à l’aventure.

24I : Alors, qu’est-ce qui vous plaisait dans l’univers de Vincent Mariette ?
V. Macaigne :
Je trouve qu’il y a une sorte de confrontation, très intéressante, entre les dialogues marqués par une vraie exigence de précision et l’esthétique globale du film au final très exigeante aussi, mais qui construit surtout un véritable univers. Bon, tous les films sont des films d’univers, mais là, il y a une recherche plastique qui est poussée. Et le mélange entre tout ça fait que le film devient quelque chose de singulier. L’histoire à la base ne l’était peut-être pas.
V. Mariette : elle est bateau, même. Le film ne repose pas là-dessus : des gens qui se retrouvent pour des funérailles, on l’a déjà vu ! J’en ai parfaitement conscience et quand je devais pitcher mon film pour chercher du financement, ça posait problème. La singularité, s’il y en a une, est à chercher ailleurs : dans les personnages…
V. Macaigne :… le rythme. La forme d’humour, aussi. Et puis ce titre, qui évoque la tristesse, alors que le film est lumineux, coloré, pop et amène ailleurs, vers une joie, une chaleur. D’ailleurs, j’étais assez étonné de le voir en salles avec du public parce que ça faisait émerger des choses que je n’avais pas nécessairement vues.

24I : Ce désir de singularité a-t-il présidé au choix des acteurs qui, sur le papier, n’ont pas une chimie évidente !
V. Mariette :
en fait, c’était surtout pour une question d’équilibre. Le film repose sur un trio. Ma base, c’était Vincent. Je savais que je voulais qu’il interprète Bruno. Partant de lui, j’ai réfléchi à qui pouvaient être les deux autres. Et sur le papier, l’association Vincent / Ludivine me paraissait intéressante, étonnante en tout cas. En termes de jeu mais aussi d’aura. Celle de Ludivine, avec cette voix éraillée et enfantine à la fois, celle de Vincent et celle de Laurent, ce qu’ils projettent chacun est très différent. Mais je ne sais pas trop l’expliquer autrement que par une intuition : j’avais le sentiment que ça marchait. Après cette intuition s’éprouve sur le plateau, dans cette vérité. Mais elle partait vraiment de cette impression que toutes ces différences pouvaient s’équilibrer, même se rejoindre par certains aspects.
V. Macaigne : en fait, moi, je connaissais Ludivine avant, pour d’autres raisons. Mais ce qui m’a impressionné aussi, moi qui est « plus jeune » à faire des films, c’est son savoir-faire.
V. Mariette : oui, elle a une vraie expérience. Et c’était quelque chose pour mon chef opérateur et moi de gagner sa confiance, parce qu’elle sait comment elle doit être filmée. Même si on a le même âge, elle a 25 ans de tournages derrière elle ! Elle a une maturité étonnante, vraiment.

24I : Dans votre dossier de presse, vous citez de nombreuses influences américaines, dont Wes Anderson. Qu’est-ce qui vous nourrit dans ce cinéma ?
V. Mariette :
En fait, je parle aussi beaucoup de Hal Hartley, Al Ashby ou Robert Altman, qui d’ailleurs ont influencé Anderson. Mais ça tient à comment les cinéphilies se forment. Comment à un moment, on découvre ce cinéma américain des années 70 et qu’il nous marque par sa liberté ou par cette direction artistique qui me touche sans que je sache vraiment pourquoi. Évidemment, j’adore Pialat, c’est un monument, mais je ne voudrais pas faire la même chose. Et j’ai bien conscience qu’aujourd’hui, on a forcément des référents. Il n’y a plus d’Orson Welles, on arrive nécessairement après quelqu’un. Et bizarrement, ce n’est pas Pialat pour moi. Je ne sais pas pourquoi j’ai envie, esthétiquement, de plus aller vers Harold et Maude, mais ça me touche.

24I : On a le sentiment que le jeune cinéma français s’approprie beaucoup les genres américains, en les détournant. Comme votre film qui est un buddy movie, mais irréconciliable, un road-movie mais qui n’avance pas. Comme si on s’affranchissait un peu de l’héritage Nouvelle Vague ?
V. Mariette :
oui, c’est vrai. Mais je ne sais pas comment l’expliquer. Je pense que ça tient tout de même peut-être à un effet de génération. La génération de cinéastes d’avant nous a été marquée par une vraie redécouverte de Pialat et leurs films, plus ou moins réussis, avaient ce côté « pialesque ». Alors peut-être que c’est une réaction ? J’ai fait la Fémis, j’en ai donc beaucoup vu, de ces films, notamment courts, qui faisaient du Pialat ou du Dumont. Alors peut-être que quand est venu le temps pour moi de faire un film, il y avait mes goûts personnels, oui, mais aussi, éventuellement, une volonté de ne pas faire ce que j’avais déjà vu. Après sur l’idée d’un mouvement plus collectif, je ne sais pas. La presse en a beaucoup parlé, notamment autour de la figure de Vincent qui relie beaucoup de ces films, mais est-ce que vraiment il y a renouvellement ? Je ne pourrais pas dire.

Entretien réalisé par Helen Faradji lors d’une table ronde durant les Rendez-Vous du Cinéma Français organisés par Unifrance, Paris, janvier 2015.

 

La bande-annonce de Tristesse Club


30 juillet 2015