Entrevue musclée avec le réalisateur engagé Tony Gatlif
par Céline Gobert
Né d’un père berbère et d’une mère andalouse et gitane, Tony Gatlif a passé son enfance dans un bidonville avant de découvrir le 7ème art et de se faire, à travers ses films (Gadjo Dilo, Exils, Liberté…), le porte-parole des laissés pour compte, et plus particulièrement des Roms, des Gitans et des Tsiganes. A l’occasion de la sortie de son nouveau film Geronimo, qui suit une éducatrice spécialisée (Céline Sallette) dans le sud de la France plongée au coeur d’affrontements entre bandes rivales de jeunes, il nous explique pourquoi son cinéma est libre, politique, et … pas bordélique !
24 images : C’est la première fois que vous inscrivez le peuple Rom dans un cadre urbain, dans la ville. Quelles contraintes et quelles libertés filmiques avez-vous trouvé dans ce nouvel espace?
Tony Gatlif : C’est une histoire qui dépasse le peuple Rom, c’est plus une histoire sur une jeunesse… L’angle du film m’est venu alors que je travaillais avec Stéphane Hessel, l’homme qui a écrit Indignez-vous il y a trois ans. C’était un vieil homme de 99 ans formidable qui m’a appris beaucoup de choses. Il a écrit ce livre sur la société française, européenne, pendant la décadence des banques, la crise économique et la chute de l’Espagne, du Portugal, de la Grèce, de la France. C’est là que j’ai vu qu’il y avait un problème grave chez une certaine partie de la jeunesse européenne et française : les « laissés pour compte », ceux qui n’ont pas les moyens d’aller plus loin que leurs études, ces jeunes qui n’ont pas de futur dans le monde dans lequel nous vivons, et qui vivent ensemble. A partir de là, le film allait être forcément urbain et se consacrer à un sujet extrêmement important aujourd’hui : le retour en arrière. Ce retour en arrière, ce sont ces jeunes démoralisés, qui se retournent vers le passé et ses traditions dangereuses comme le crime d’honneur par exemple, qui est destiné aux jeunes filles qui ne veulent pas se marier et dont le mariage a été décidé par leur famille. Le film devient alors urbain, actuel, une histoire qui nous concerne tous.
24i : Ces jeunes trouvent un exutoire dans la rue, dans la musique et dans la parole, dans des arts très actuels tels le hip hop, le rap, le street art. On entend aussi de la musique turque et espagnole. Pouvez-vous m’en dire plus sur votre façon d’utiliser l’art pour exprimer la violence ?
TG : Oui, c’est l’art urbain. Pour moi, quand on raconte une histoire, quand on décrit une situation qui nous paraît importante, en tant que réalisateur, on n’essaie pas de faire de l’art. Un réalisateur n’est pas quelqu’un qui est là pour donner des leçons. Le crime d’honneur, c’est un amour impossible : tous les mythes, les grandes chansons, les opéras, sont basés sur un amour impossible – parce que quand l’amour est possible, il n’y a plus rien à dire…-, il y a donc une violence. La principale question pour moi était : comment éviter la violence de ce sujet-là ? J’ai fait très attention à m’échapper de cette violence et à la remplacer par la musique. Mais une musique urbaine, fabriquée, travaillée, par les jeunes. Vous savez, que ce soit la musique gitane, manouche, jazz américaine ou même rap, cela vient toujours d’une crise, d’une société dans laquelle des jeunes ont besoin de s’exprimer. La musique dans le film fait partie de ce besoin de s’exprimer à travers des sons qui leur appartiennent, qu’ils ont travaillés eux-mêmes.
24i : La musique devient aussi l’un des fondements de l’identité du groupe, de la communauté….
TG : Voilà. C’est obligé. Obligé qu’à un certain moment, il y ait une musique qui naisse pour exprimer le besoin d’un peuple, que ce soit le peuple noir, le peuple tsigane. Cela devient une sorte de style, mais pas un style pour faire joli, un style d’expression. La violence, elle plane dans le film, mais en tant que cinéaste, il ne fallait pas que je l’embellisse. La violence, c’est quelque chose de répugnant. Il est hors de question dans le cinéma que je fais d’embellir les choses que je n’aime pas, ou des images qui sont néfastes pour le monde. La musique, dans le film, vient remplacer ces images insupportables devant l’objectif de la caméra.
24i : Qu’est-ce qui vient en premier au moment d’écrire le scénario : la musique ou les mots ?
TG : La musique, c’est des sensations, et ce sont les sensations qui viennent en premier. C’est l’âme des personnages… Je ne m’exprime pas du tout avec des photos, avec des visions. En fait, je suis plutôt instinctif en ce qui concerne le monde, je ne suis pas « visionnaire » mais je sais que ce que je dis, et qui n’existe pas forcément aujourd’hui, va être possible dans quelques temps. En tout cas, c’est l’âme que je cherche, comme un musicien qui crée une musique, il n’est pas là dans son atelier à se dire « je vais fabriquer une musique », la musique lui vient ou ne lui vient pas.
24i : Le résultat est un film très chorégraphié, très théâtral. On est quelque part entre Shakespeare et West Side Story… C’était des influences pour vous ?
TG : Tous mes films ont un style… quand on voit Latcho Drom, il est très différent de Gadjo Dilo, et donc celui-là a son propre style, et son style est comme ça, parce que pour s’éloigner d’une réalité qui n’est pas bien, le film adopte une écriture nouvelle. C’est la première fois que je fais un film aussi fabriqué, aussi travaillé. C’est là que le cinéma m’intéresse, je ne vais pas toujours faire le même film ! Donc, comme je vous l’ai dit, à partir du moment où l’on touche au mythe de l’amour impossible, forcément on va à la rencontre de Shakespeare, à la rencontre de Garcia Lorca, de Tristan et Iseut, à la rencontre de plein de mythes d’amours impossibles.
24i : Le film mêle un réalisme social que l’on trouve chez Buñuel, dans Los Olvidados par exemple, mais aussi un côté plus bordélique qui évoque l’univers de Kusturica. Ce sont des cinéastes qui vous inspirent ?
TG : Kusturica, non, non, non, pas du tout. Absolument pas. Moi je ne m’inspire pas du tout de mes contemporains, d’ailleurs je vais rarement au cinéma. Je lis plutôt, ou je vais dans des concerts. Mon maître serait plutôt Buñuel. Buñuel était un exilé espagnol qui travaillait à Mexico, il a alors été frappé par la misère du monde à la sortie de la guerre. A cette époque, toutes les grandes villes connaissaient la misère d’une jeunesse abandonnée, c’était un nouveau monde qui commençait. Buñuel, dans Los Olvidados s’est intéressé à cette jeunesse, il n’était pourtant pas un enfant pauvre, c’était un surréaliste, un étudiant brillant. Il s’y est intéressé par c’est quelque chose qui l’a touché, il a fait son film comme il a regardé ces jeunes : avec compassion. Cela signifie qu’il ne les a pas jugés, il n’a pas dit « ce sont des monstres », « ils se battent ou se tuent en eux », non, il les a regardés avec compassion. Notre société manque de compassion. Les cinéastes qui parlent comme ça, ceux là je m’en inspire, ou alors, non, disons que je suis à leur côté. Mais Kusturica, non, ce n’est pas quelqu’un qui respire la compassion.
24i : Pourquoi ?
TG : Parce que. Il n’a jamais fait un film qui respire la compassion. La compassion, c’est avoir le respect des autres. (Pause) Vous êtes en train de me dire alors que je joue une musique manouche, « là, pourquoi vous n’accélérez pas la musique symphonique ? ». Vous êtes en train de me dire la même chose ! Ce n’est pas possible ! On ne peut pas accélérer la musique symphonique ! Donc voilà ! Chacun fait ses films comme il l’entend, je ne connais pas Kusturica. (Pause) Et mes films ne sont pas bordéliques ! Si vous saviez le travail qu’il y a derrière ! L’acharnement pour mettre chaque son à côté de l’autre, si vous saviez par exemple le travail et le temps qu’il y a pour écrire la musique que l’on entend dans la séquence au bar… Plus d’un an ! Il n’y a aucun son qui ne s’accorde pas ! Tous les sons sont travaillés, sont cherchés, pendant plus d’un an, et après ils sont filmés, en direct, ça c’est le contraire du bordel !
24i : Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit. Ce que je voulais dire, c’est qu’il y a quand même beaucoup de choses : beaucoup de couleurs, d’énergies, de sons, qui donnent une impression bordélique, à la Kusturica.
TG : L’énergie, c’est pas du bordel ! Ecoutez, la vitalité de la jeunesse, de ces jeunes que j’aime, qui sont le contraire des gens déprimés, c’est pas du bordel ! C’est de la vitalité ! C’est de l’énergie ! Et c’est justement sans cette énergie que c’est le bordel. Le bordel, c’est quand les gens sont par terre ! Quand ils sont dans la rue, quand ils sont dans la misère, qu’ils sont complètement en déchéance parce qu’ils n’ont plus rien, et que personne ne s’occupe d’eux, et que la société les abandonne. Ca, c’est le bordel ! Mais l’énergie n’est pas du bordel ! C’est cette énergie-là qui nous donne l’espoir de croire que l’on est vivants !
24i : Donc, vous faites un cinéma engagé ?
TG : Moi je fais un cinéma engagé. C’est pour ça que je vous parle comme ça… gentiment, hein… Oui, je fais du cinéma engagé, et le jour où je ne ferai plus du cinéma engagé alors je ne ferai plus de cinéma du tout. Sinon, je m’amuse plus en faisant de la musique. Je préfère alors faire de la musique, car la musique c’est cash, c’est direct. Oui, bien sûr, je fais un cinéma engagé et pas un cinéma qui casse la tête aux gens, ou un cinéma qui impose des idées aux gens.
24i : Selon vous, faut-il forcément qu’il y ait une rage derrière l’engagement, une colère qui vienne le nourrir ?
TG : Non. (Pause). Non, pas forcément. Il faut une détermination de fer. Une détermination pour poursuivre l’engagement, et que rien ne vient détourner. Vous savez, c’est facile d’être détourné en ce moment quand on est un artiste. Quand on est un artiste fragile… Mais l’engagement et la détermination, ça va ensemble. Sinon, on abandonne vite… Si l’on n’est pas déterminé à faire quelque chose, un engagement ce n’est pas facile à tenir… C’est quand même douloureux…
24i : Est-ce que c’est de votre engagement à rendre visibles les laissés pour compte dont vous parlez ? Un engagement de cinéaste ?
TG : Oui, c’est ça, c’est sûr. Si l’on réfléchit bien… j’ai commencé dans les années 80…même un peu avant, j’ai fait pas mal de films dans le monde… mais je fais partie des cinéastes qui ne sortent pas d’une grande famille. Ce métier de cinéaste, c’est souvent un métier de famille, pour ne pas dire de bourgeois. C’est un métier de la bourgeoisie. Et oui … et oui! (rires). On n’est pas beaucoup de cinéastes à ne pas venir de la bourgeoisie ! Y’en a encore, hein, y’en a ! Mais pas beaucoup…
24i : Justement, vous avez vécu une jeunesse assez difficile. Est-ce que cette réalité que vous avez vécue, vous l’avez mise dans ce film-là, dans Geronimo ?
TG : Oui. Si vous êtes un cinéaste et que votre parcours humain, d’enfant, de famille, c’est celui d’une famille aisée – et il y en a beaucoup ! Il y en a du monde ! Sauf peut-être les Africains… et encore c’est pas sûr..-, vous ne pouvez pas faire les films que je fais. Ce n’est pas possible. Les films que je fais sont des films qui s’inspirent de moi, de mon passé, c’est à travers mon passé que je les fais. Les films de gens de familles aisées sont des films que vous voyez tout le temps : ils se passent dans des appartements, dans des maisons, dans des voitures, dans des bars. Vous voyez, ce n’est pas du tout le même style. Je ne suis pas du tout en train de critiquer, hein, je suis juste en train de vous expliquer mon intention.
24i : C’est la première fois qu’un de vos films se passe dans un espace clos, qui est celui du béton, des bâtiments, cela traduit-il un pessimisme nouveau chez vous ? Ou bien est-ce que vous « croyez aux miracles » comme le dit le personnage joué par Céline Sallette ?
TG : Bien sûr que je crois aux miracles ! Mais je ne crois pas à n’importe quel miracle. Je crois aux miracles que l’on crée. Mais évidemment, un miracle ça n’arrive pas tous les jours. En tout cas, je crois à ce qu’on essaye de faire quelque chose. Mais ça n’arrive pas tout le temps, un miracle, si ça arrive une fois dans sa vie, c’est déjà énorme. Et donc, mon film, c’est un film libre, mademoiselle! Ce sont des espaces qui sont libres, la caméra est vraiment libre, ce n’est pas une caméra qui est hystérique, elle est nerveuse évidemment, comme les jeunes, et je voulais absolument ne rien avoir de murs, pour ne pas freiner la caméra, pour ne pas freiner mes images, et tout le film c’est une liberté totale, vraiment totale. Ce n’est pas du tout un film de bâtiments, ça non ! S’il y a des bâtiments, c’est parce qu’ils sont là, ils servent de façade, mais ce n’est pas du tout un film qui se passe dans la cité. La cité est glauque. Moi je ne fais pas un film qui se passe dans la cité !
24i : Peut-on parler de la figure féminine dans votre cinéma ? D’abord, il y a ces actrices : Céline Sallette, Asia Argento, Lubna Azabal… Les personnages, les actrices, ces femmes ne sont pas conformistes…
TG : Ouais, ce sont des femmes fortes. J’aime bien les femmes fortes. J’aime filmer les femmes, et j’aime que ces personnages soient forts. C’est en réaction, je fais un cinéma engagé. Que ce soit cette Geronimo ou Nil la jeune fille qui s’en va de son mariage. Ça en prend du courage pour partir, pour s’en aller comme ça, quitter sa famille et lui dire non. Et il faut beaucoup de courage pour s’engager dans la lutte que Geronimo fait en tant qu’éducatrice pour aider les autres. Il y a beaucoup de gens dans le monde qui aident les autres, et heureusement qu’ils sont là, sinon on n’est pas dans l…, sinon ce serait vraiment triste. Et donc j’ai beaucoup de respect, et beaucoup d’admiration pour les gens qui aident les autres, qui ont des destinées, et donc forcément ce sont des femmes fortes.
24i : Oui, effectivement, vos personnages le sont. Et vos actrices ? Elles sont loin du conformisme du cinéma français si vous voyez ce que je veux dire…
TG : Oui, oui, oui, bien sûr. Ce sont des femmes que j’aime moi, que j’aime filmer. Evidemment qu’il y des cinéastes qui filment des gens faibles, ou des victimes. Mes personnages sont trahis, ils sont abandonnés mais ils ne sont pas victimes. Je n’aime pas filmer des victimes.
24i : Plus largement, quelle est l’évolution de la femme rom au sein de sa propre communauté ?
TG : Aujourd’hui, les Roms sont maltraités un peu partout en Europe, c’est quand même très dur. C’est très dur. (Pause). Moi j’aime les Roms. J’aime tout ce qu’ils aiment. Et les femmes roms, elles sont magnifiques. Elles se battent, elles se battent contre le monde. Et le monde est contre eux. C’est dur d’être Rom aujourd’hui.
24i : Le personnages de Geronimo justement est extérieur aux deux communautés que vous mettez en scène, la communauté turque et la communauté Rom. Qu’est-ce qui était intéressant dans son regard ? Sa neutralité ?
TG : Ils sont Gitans. Il y a une différence : les Gitans c’est le sud de la France, l’Espagne. Les Roms c’est l’Europe de l’Est, Roumanie, Hongrie, Tchécoslovaquie, Pologne. Le film n’est pas « communautaire », et je ne voulais absolument pas qu’il soit communautaire. C’est trop facile de faire un film communautaire en France ! Parce que ce n’est pas vrai… elles n’existent pas, ces communautés en France ! Il existe des enfants, de gens qui sont arrivés il y a 70 ans, 60 ans ou 50 ans et ces enfants sont français. Leur histoire n’est pas une histoire de communautarisme ! Je vous assure que non ! C’est trop simple de dire ça ! C’est comme ça qu’on amène le fascisme ! C’est comme ça qu’on a donné des voies au fascisme, à l’extrême droite en France, en parlant comme ça ! Moi je dis non, il n’y a pas de communautarisme en France ! Dans le film, il y a des enfants qui sont issus de gens qui sont arrivés de loin, mais il y a longtemps, ils sont devenus français, ils sont français aujourd’hui. Eux, ils ne se disent pas « nous sommes ça ou ça », ils sont français ! Et donc, le film les montre comme des français ! Ce n’est pas comme autre chose ! Ou comme des Bretons ! Ou d’où l’on veut… Il n’y a pas la spécificité de les séparer par leur ethnie, absolument pas ! Ca, c’est trop dangereux ! Je prône que tous ces enfants sont des enfants français et leur mixité les rend beaux. C’est une belle jeunesse ! On les voit bien qu’ils sont beaux ! On les voit bien ! Vous le voyez bien qu’ils sont beaux ! Mais parce qu’ils sont mixés !
24i : Est-ce que c’est cette beauté que vous avez voulu capter dans le regard de Geronimo alors ?
TG : Oui, bien sûr, c’est cette beauté qu’il y a partout, chez tous les jeunes. Geronimo est avec tous ces jeunes et elle ne fait pas de différence entre ça, ou ça. Elle a un métier. Elle aurait pu être avocate ou autre chose ou assistante sociale, mais elle est éducatrice, et son métier est d’aider les autres. Elle aurait pu être bonne sœur ! Puis aller le soir rendre service à des gens qui sont dans la misère… C’est une femme qui a une vocation et qui, humainement, est très très belle. On souhaiterait que tous les humains et toutes les femmes soient comme ça !
24i : Pourtant… j’ai eu beaucoup de mal à saisir les motivations du personnage dans le film… Les jeunes font preuve d’une telle ingratitude envers elle ! Elle finit même par se prendre une balle dans le ventre… Que pensez-vous qui la motive à rester malgré tout ?
TG : Ah ben vraiment c’est ce que je me demande, moi aussi. On ne s’engage pas dans une motivation comme celle là parce qu’on cherche des caresses, ou des récompenses. Il n’y a pas de récompenses. C’est sa conviction à elle. Elle fait son travail, et le soir elle ne cherche pas des caresses ou des compliments…
24i : Vous êtes fasciné par ce personnage ?
TG : Non, non, non … Je ne suis fasciné par personne. Même pas par la musique. Je ne suis pas quelqu’un qui se fascine. Je suis quelqu’un qui aime. J’aime beaucoup les gens, j’aime beaucoup ce que je fais, j’aime beaucoup les personnages. Mais je ne suis pas un aficionado des choses… Je ne suis pas quelqu’un qui … euh… je me maîtrise !
24i : A leur âge, vous découvriez le 7ème art. A quoi, à qui peut s’identifier cette jeunesse abandonnée aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’elle peut faire ?
TG : Elle est mal barrée ! (rires) C’est pour ça qu’on fait des films, que je fais ce film. Elle est mal barrée et il faut faire quelque chose, sinon ce n’est que le début ! Je ne menace pas… Je ne donne pas de conseils… Mais c’est clair et net que si on ne trouve pas de solutions à l’attente de cette jeunesse mondiale – ce n’est pas qu’en France – il risque de se passer quelque chose. Je le montre dans le film : à un moment, cela échappe à tout le monde !
24i : Une révolution ?
TG : Non, non, je ne sais pas, j’espère que non ! Pas quelque chose de violent… mais c’est triste quand même… Vous savez en France, quand j’ai commencé le cinéma il y avait 500 000 chômeurs, aujourd’hui il y en a combien ? Trois ? Quatre millions ? C’est énorme dans une petite population comme la France… Dans beaucoup de foyers, il y a des gens qui ne travaillent pas, qui vivent d’aides minimes… Ils ne peuvent rien acheter ! Le chômage, c’est l’humiliation, c’est l’abaissement, c’est dégradant… ! Et les enfants au chômage et sans travail, c’est aussi dégradant. Ils ne veulent qu’une chose, c’est être utile, servir à quelque chose. Et même si c’est quelque chose de violent !
24i : Qu’est-ce que vous auriez envie de dire à ces jeunes ?
TG : Ce n’est pas à ces jeunes que je parle. Moi je n’ai rien à leur dire aux jeunes ! Au contraire, je les aime moi ! C’est aux dirigeants que je parle. Quand je fais un film sur les gitans ou les Roms, je ne fais pas un film pour que les gitans ou les Roms aillent au cinéma ! Je ne fais pas un film comme Geronimo pour que les jeunes aillent au cinéma ! Je fais un film pour les dirigeants, et d’autres, comme les jeunes qui n’ont rien à voir là dedans, qui n’ont pas ces problèmes…Allez voir ce film là ! Ce n’est pas pour ceux qui sont déjà dans les problèmes que je fais ce film, mais pour les autres.
24i : En espérant qu’il y ait un impact ?
TG : Oui, mais je ne fais pas de la propagande ! (Pause) La musique, elle est pas mal non ?
24i : Oui !
TG : Donc voilà, c’est pour aller entendre de la musique, voir des images, jouer des acteurs… C’est quand même un film de cinéma mais ce n’est pas de la propagande !
24i : Donc ça reste un film de cinéma malgré tout, malgré toute la politique qu’il y a derrière, c’est ça ?
TG : Oui, exactement. Malgré toute la lutte, malgré toutes les positions sociales, ça reste un film de cinéma.
24i : D’accord. Arrêtons-nous sur ces beaux mots alors. Merci Monsieur Gatlif !
TG : Mais on a dit que des beaux mots non ? (rires)
Propos recueillis par Céline Gobert
La bande-annonce de Geronimo
6 novembre 2014