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Entrevues

Rencontre avec Louis Clichy

par Helen Faradji

De la 3D dans le plus irréductible des petits villages gaulois ? Et pourquoi pas ! Après l’affadissement certain des adaptations en prises de vues réelles, l’animation revient dans le jeu d’Astérix, sous la houlette d’Alexandre Astier (Kaamelott) et de Louis Clichy, de retour en France après un passage chez Pixar. Pour évoquer cette version énergique et amusante des aventures d’Astérix et Obélix, couronnée de succès en France, nous avons rencontré ce dernier.

24 Images : Pensez-vous que ce Astérix parlera peut-être davantage à un public adulte qu’enfantin, à l’inverse des films non animés qu’il a inspiré ?
Louis Clichy :
Premièrement, je dois dire que nous, autant que les producteurs, voulions qu’une double lecture soit possible. Alexandre Astier, scénariste et co-réalisateur, est assez connu en France pour ses émissions et comédies bien plus destinées à un public adulte et pour ma part, je suis arrivé sur le projet avec la mission d’apporter une dimension plus destinée au jeune public. Ensemble, on a essayé de faire quelque chose qui fonctionnerait pour les deux publics. Et pour être parfaitement honnête, ce n’était pas très difficile, parce que les bande-dessinées originales ont été conçues dans cet esprit : ça fonctionne pour les enfants, avec des bagarres, du mouvement, etc, mais aussi pour les adultes, avec cette ironie, ce sarcasme qu’ils peuvent y trouver. Quant aux films en live-action, je pense à celui réalisé par Alain Chabat et qui tout de même, avec ses références à la culture populaire française, fonctionnait très bien pour les adultes, je crois.

24I : Cette expérience d’un public plus jeune dont vous parlez, l’avez-vous acquise en travaillant chez Pixar ?
L. C. :
Je ne sais pas. Chez Pixar, on disait la même chose : il faut que ça fonctionne pour les adultes et pour les jeunes. La logique était la même. Mais c’est vrai que lorsqu’on parle d’animation, en général, les gens pensent plus naturellement que c’est pour les enfants, même si tous les jours, on essaie de prouver que non (rires). En animation, il y a de vrais auteurs, avec des projets personnels et adultes, à n’en pas douter.

24I : Est-ce que Pixar a été votre école de cinéma ?
L. C. :
Non, pas vraiment. J’avais travaillé avant de les rejoindre, en réalisant quelques courts et publicités et une fois là-bas, je n’ai rien réalisé pour eux, j’étais animateur et j’ai fait du design également. Les scènes m’arrivaient déjà validées et je les animais. J’ai beaucoup travaillé sur Wall-E, du début de la conception jusqu’à la sortie en salles. En fait, ça a été une formidable expérience à la fois relationnelle et de comment les films sont faits là-bas, car j’y ai découvert que tous les départements travaillent ensemble, ce qui est très surprenant pour une si grosse entreprise. Mais non, on pouvait écrire directement au réalisateur, les idées circulaient vite et bien, tout était très ouvert. Donc, ce passage chez eux durant trois ans a plus été une formidable expérience de plus qu’un véritable apprentissage scolaire.

24I : Avant de réaliser ce film, qu’est-ce qu’Astérix représentait pour vous ?
L. C. :
En fait, je dois être honnête, mais je ne suis vraiment pas un fan des bande-dessinées. Je connais surtout Astérix à cause des dessins animés qui, en France, sont diffusés à la télévision durant chaque temps des fêtes! Et je ne devrais peut-être pas dire ça (rires), mais je suis de façon générale assez sceptique quant à la bande-dessinée : ce n’est pas réellement un livre, ce ne sont pas réellement des illustrations, c’est un entre-deux qui pour moi est un peu déstabilisant, confus. Je préfère voir des films, ou lire un livre. Et le film animé, pour moi, ce n’est pas absolument pas la même façon de travailler, le même langage ou le même rythme que la bande-dessinée.

24I : Alors pourquoi avoir voulu réaliser cet Astérix ?
L. C. :
Je dois préciser : je n’ai pas une culture bande-dessinée très solide. Enfant, j’étais plus à l’aise avec les romans, la musique, les dessins animés. Et ce sont ces derniers qui m’ont permis d’être familiers avec Astérix. J’ai lu les bande-dessinées bien plus tard, mais ce n’était pas aussi naturel pour moi que les dessins-animés.

24I : Les voix ont été enregistrées avant le dessin, n’est-ce pas ?
L. C. :
Oui, comme il se doit ! En fait, on a l’impression, parce que les gros films américains sont doublés a posteriori, que cela se fait ainsi, que les voix sont enregistrées après. Mais ce n’est pas le cas. On enregistre d’abord et ces voix sont une aide précieuse et immense pour les animateurs qui peuvent alors s’inspirer du rythme, de la musicalité des phrases. Heureusement, on a pu faire ça, on a eu le temps. De mon point de vue, quand on fait de si gros films, il faut trouver une façon de résister. Parce que les producteurs veulent souvent que les choses soient faites en anglais mainstream, pour que le film puisse être international. Mais avec Alexandre Astier, on a beaucoup insisté pour être sûr de pouvoir le faire en français, avec des comédiens français. C’était très important, et beaucoup plus excitant !

24I : Jusqu’ici, Alexandre Astier était surtout connu pour écrire et/ou mettre en scène seul. Comment s’est passée votre collaboration ?
L. C. :
Je connaissais le personnage avant de travailler avec lui, et j’ai eu confirmation de ce que je pensais (rires) ! Non, sans rire, ça s’est très bien passé, et nous sommes encore en très bons termes. Il travaille énormément et fait beaucoup de choses sur ses projets : producteur, réalisateur, acteur, scénariste, compositeur, monteur… Là, il était beaucoup moins impliqué dans l’aspect production. Et sur le scénario, nous avons beaucoup travaillé ensemble, avec beaucoup d’allers-retours et de disputes, mais aujourd’hui, on en voit les bénéfices ! Par exemple, il n’était pas entièrement emballé par tout l’aspect action, ce à quoi, je rétorquais « on ne devrait pas faire parler autant les personnages », mais on a réussi, je crois, à trouver un bon équilibre, en tenant compte évidemment des limites imposées par notre budget – qui était gros pour un film français mais rien comparé à un Pixar ! – qui ne permettait pas de scènes à grands déploiements avec des centaines de personnages, par exemple, ou une scène de rivière qu’on a du abandonner, parce que l’eau en CGI, c’est très difficile. En arrivant sur le projet, je savais quel était son style, et je voulais qu’il soit là au final, mais j’ai tout de même voulu aussi que soit poussé l’aspect plus visuel, les gags qui surviennent sans que personne n’ait à parler ! Et je crois qu’on a réussi à ce que ces deux dimensions soient présentes dans le film. On était aussi d’accord sur l’utilisation de la 3D, qu’elle ne soit pas présente de bout en bout du film, mais seulement pour quelques séquences choisies.

24I : Uderzo a-t-il été impliqué dans le projet et si oui, quel a été son apport ?
L. C. :
De ce que je sais, il a toujours laissé beaucoup de liberté quant aux films animés tirés de son œuvre. Il est assez confiant. Pour notre part, nous avons surtout collaboré avec lui au début du projet. Ce qui lui importait vraiment, c’est qu’on garde l’idée des personnages, leur design et il est venu une dizaine de fois au studio pour vérifier les proportions, si tout fonctionnait bien, comme par exemple pour les nez vus de face, qui sont très imposants et avec lesquels il avait lui même des problèmes en dessinant et pour lesquels il a du développer différentes astuces. Il était aussi très très attentif au jeu parce qu’il était inquiet, à cause du CGI, que les choses soient trop aériennes, qu’elles flottent dans l’air au lieu d’avoir une densité, un poids. Il voulait être sûr que le style soit « cartoonish », même en CGI. Il vient vraiment de l’école Disney en animation, son style repose sur des personnages très construits et beaucoup de perspectives, bien plus que sur un dessin très graphique, il en est très fan et il était très attentif à ces nouveaux développements techniques pour que ça fonctionne quand même, comme avant ! Mais tout s’est bien passé, même si les expressions des personnages étaient parfois très difficiles à rendre. Heureusement, je crois qu’on a fait les choses bien et qu’il n’a pas eu à dire que ça ne lui allait pas !

24I : Pourquoi avoir choisi spécifiquement Le domaine des Dieux ?
L. C. :
C’est le choix d’Alexandre Astier et maintenant que c’est fait, je vais dire qu’évidemment, c’était le bon choix ! Mais pour être honnête et revenir sur ce qui ne me plaisait pas particulièrement dans les bande-dessinées, c’était ces voyages à travers différents pays. 60% des albums consistent à découvrir un nouveau pays, faire des gags sur les confrontations entre les différentes cultures. C’est drôle bien sûr, mais ça reste limité aux deux pays en question et ça manque d’ouverture, pour moi, à des questions plus générales, plus universelles. C’est ce que j’aime du Domaine des Dieux : une attention à de vraies grandes questions globales comme l’environnement, la mondialisation… Et c’est aussi une bande-dessinée avec une dimension plus sombre, ce qui me plaît. Ce qui arrive au village est assez effrayant et rejoint des questions très actuelles sur ce qu’est que l’identité nationale, la culture, etc… Alexandre l’a senti très tôt, je crois. Et pour moi, en plus, le fait que tout se passe autour du village, et presque en huis-clos, sans énormément de backgrounds, me paraissait une belle façon de revenir aux fondamentaux d’Astérix : présenter chacun des personnages, faire de la forêt un vrai personnage, tout en laissant de l’espace pour des séquences d’action.

24I : Voyez-vous dans ce récit des résonances contemporaines particulières ?
L. C. :
Comme vous le savez, Astérix a été conçu après la seconde guerre mondiale et évoquait assez clairement l’idée de résistance contre les Allemands. Je crois qu’aujourd’hui, et c’est un des thèmes du Domaine des Dieux, les enjeux qu’on peut y lire sont plus ceux de l’identité, de la culture et de comment on peut évoluer et se développer sans oublier ses racines et sa communauté.

24I : Vous avez pris quelques libertés avec les personnages : Astérix paraît plus défaitiste, Obélix, lui, plus tendre…
L. C. :
Oui, c’est vrai. Ce qui est assez effrayant quand on veut faire une adaptation comme celle-là, c’est qu’Astérix et Obélix sont vraiment des icônes de la culture française. Mais c’est comme Mickey Mouse : à un moment donné, il paraît si bon, si gentil, si parfait qu’on finit par ne plus croire au personnage. Et on ne voulait pas que ça arrive ! Avec les dernières adaptations, il y avait le risque qu’Astérix paraisse un peu fade. On a voulu ramener l’ironie, celle qu’on trouvait dans Les 12 travaux d’Astérix, par exemple. Et Obélix, justement, on ne voulait pas en faire le gros toujours joyeux et de bonne humeur. On a essayé de les rendre humains, avec des failles, des fêlures, qu’on ne les voit pas seulement comme des héros, mais comme des êtres « normaux ». Sans les changer entièrement, bien sûr.

Propos recueillis par Helen Faradji lors d’une table ronde organisée durant les Rendez-Vous du Cinéma Français par Unifrance, Paris, janvier 2015.

 

La bande-annonce d’Astérix et le Domaine des Dieux


19 février 2015