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Entrevues

Rencontre avec Quentin Dupieux

par Céline Gobert

Quentin Dupieux était au FNC lundi soir pour présenter Wrong Cops, son ovni complètement barré. 24 images l’a rencontré.

24 Images : Comment qualifierez-vous Wrong Cops ? Comédie cynique ? Série Z postmoderne ? Parodie de téléfilm américain des années 90 ?

Quentin Dupieux: C’est un peu tout ça. Ce n’est pas mon rôle de mettre ces mots sur mon film, c’est votre boulot, mais effectivement c’est un film qui contient tout cela. Pour moi, c’est un film malade, au sens clinique. J’avais envie de faire un film qui n’est pas un film, qui ne répond à rien, qui ne donne rien, comme les personnages. Un peu crade, un peu bas du front. L’idée c’est de faire du divertissement, mais pas par la porte classique du divertissement. Je voulais un film qui s’en fout, qui se fout de tout.

24 I : Pendant tout le film, on voit de lourds effets de zoom, des angles inhabituels, l’image est volontairement cheap, floue… Etait-ce aussi dans cette optique là ?

Q.D.: Oui. Je sortais de mon film précédent, Wrong, qui était un peu maniéré, précieux, et j’avais envie de faire un truc volontairement raté, qui se met des bâtons dans les roues tout seul. Oui, ces zooms, ces arrêts sur image, c’est des envies de série Z. J’avais envie d’être comme les mecs de séries Z qui savaient pas filmer, qui n’avaient pas d’argent, et qui faisaient un truc n’importe comment. J’adore ça.

24 I : Wrong cops semble toujours jouer à contre-temps et à contre-sens, il n’y a pas de timing comique à proprement parler, dans les gags ou la narration…. Quel parallèle avec votre électro (Quentin Dupieux est également musicien, sous le pseudonyme Mr. Oizo) ?

Q.D.: Oui, ça c’est plus mon tempo à moi. C’est la même chose quand je fais de la musique. Ce serait plus simple pour moi de faire de la musique plus conventionnelle, avec des structures établies, un peu comme tout le monde. Mais c’est dans mon rythme à moi que d’aimer les trucs boiteux, j’aime les trucs qui se cassent la gueule et pas parfaitement timés. Dans ce film, j’aime le boiteux, et je suis boiteux moi aussi, je suis incapable de faire une vraie comédie ou de faire ce que l’on appelle avec un vrai film avec les ingrédients nécessaires, qui au final me font chier. Ce sont des formules que l’on connaît par cœur. Autant en musique qu’au cinéma, j’aime ce qui ne répond pas aux attentes de ceux qui regardent.

24 I : Même chose dans cette envie de travailler avec Marilyn Manson ?

Q.D.: C’est lui qui est venu vers moi. Je le connaissais un petit peu mais je ne connais pas du tout son univers. Je n’ai jamais écouté sa musique. Pour moi, Marilyn Manson c’est une sorte de mec un peu supérieur, un peu déglingué. Il m’a approché par email. C’était étrange, j’ai d’abord cru que c’était une blague, on imagine mal un mec comme lui écrire des emails. Puis, je l’ai rencontré. C’est un vrai fan de cinéma, il était complètement dingue de Rubber, et m’a dit : « Il faut que l’on fasse un truc ensemble ». Mais oui, il s’intègre bien à cette logique de film. Ça lui va bien d’être dans un film boiteux.

24I : Est-ce que vous pensez au public quand vous faites votre film. Est-ce que vous vous dites : « tiens, ça, ça va faire rire les gens » ?

Q.D.: Alors ça, non, jamais. Je commence à intégrer le public quand on fait des projections. Ce n’est ni prétentieux, ni égoïste. Je pense simplement que je n’ai aucune notion de comment on maîtrise un public, c’est une mécanique que je ne connais pas. Il y a des gens qui savent comment embarquer les gens, mettre une musique qui touche la corde sensible, qui connaissent le « comédie timing ». Moi ça ne m’intéresse pas. Je fais mon truc, une proposition de cinéma personnelle. Je me fais plaisir. Qui a dit qu’on n’avait pas le droit de se faire plaisir ?

24 I : C’est une forme de nihilisme …

Q.D.: Oui, mais le mot est chiant. Autant en musique qu’en film, j’essaie de me satisfaire moi. Il y a des gens que ça débecte.

24 I : L’art comme vecteur d’autosatisfaction ?

Q.D.: Oui, sauf qu’il y a une économie, des acteurs, une équipe. Ce n’est pas que moi qui fais mon petit truc tout seul. Pour la musique, je suis à la limite de l’autisme, j’en ai tellement rien à foutre de ce que pense qui que ce soit ! Le cinéma, il faut quand même trouver des financements, convaincre des acteurs, c’est un processus un peu plus long. Oui, je me fais plaisir, mais il y a quand même un moment où on est 40 à faire le film, et où tout le monde prend du plaisir. Je ne suis pas complètement renfermé sur moi-même.

24 I : Les auto références, qui ponctuent tout le film – votre musique qu’un personnage s’acharne à défendre ou votre film Rubber qui passe à la TV qualifié de « génial » par les personnages -, jouent la carte de la provocation ou de la blague ?

Q.D.: Les deux… (Rires) C’est vrai que cela a un petit côté agaçant…Je sais que c’est énervant, beaucoup de journalistes ont relevé cette auto-citation, comme si je me branlais moi-même. Encore une fois, je dis : pourquoi pas ? Je considère que je suis une figure artistique plus ou moins importante. Ça a sa valeur. Je me place plutôt en haut de l’échelle, de mon point de vue, j’ai au moins l’ambition de proposer quelque chose de différent, et je m’amuse bien à le faire. Ça plaît à beaucoup de gens, donc finalement j’ai raison. C’est bête comme cochon : je me trouve très productif, beaucoup de disques, quatre films en trois ans, et ça me plaît, je suis plutôt fier de ce que je suis. C’est certainement pour cela que je m’auto-cite. C’est ça que les mecs ne comprennent pas : je suis dans un truc qui s’auto-alimente, je ne suis pas en quête d’autre chose, ce qui m’intéresse c’est ce que je fabrique.

24 I : Quand je vois Wrong Cops, j’ai l’impression que par son non-sens, il fait quand même un pied de nez à une certaine sphère élitiste, guindée, qui cherche un sens à tout… Est-ce que j’ai tort ?

Q.D.: Quand je fais le film, je pense pas à ces gens là, je pense à moi. Ca me fait marrer, ça fait marrer les gens autour de moi et on y va tous gaiement. Maintenant, Wrong Cops agace beaucoup, on m’accuse de faire n’importe quoi. D’un seul coup, là, je suis content. Pour mes films précédents, j’ai eu une bonne presse, voire même des trucs intellos où les mecs se racontent des films… Même une très bonne critique peut être énervante pour le réalisateur. Moi ça m’agace, le mec s’invente un film qui est pas mon film. Quand ils essaient d’analyser… C’est très ennuyeux comme façon de voir le cinéma. Quel que soit le but du réalisateur, le seul but du spectateur est de passer un bon moment, ou pas, et alors de se barrer. Ce n’est que ça.

24 I : Lorsque le personnage joué par Eric Judor se rend à la maison de disque, le producteur lui explique qu’un hit, un bon produit, c’est en gros 95% l’emballage, et 5% de talent, de choses à dire. Partagez-vous ce constat sur l’industrie musicale et cinématographique ?

Q.D.: Oui, sur tout, sur l’époque dans laquelle on vit qui n’est que publicité, que marketing. Même avec ce film, boiteux, mal foutu, écrit en 15 jours et mal filmé, si on avait 20 millions de dollars à dépenser en marketing, on pourrait fabriquer un succès. On vit dans un monde où si on force pas les gens à aller voir un film, ils n’iront pas. Il faut que l’info arrive à eux 14 fois par jour, au volant de leur bagnole il y a l’affiche, quand ils allument la télé y’a la bande annonce, le monde fonctionne comme ça. Pareil pour la musique, y’a des mecs géniaux, et sans marketing , tout le monde s’en fout.

24 I : Mais vous avez vous-même un peu bénéficié de cela non ? La pub Levi’s par exemple… Ou au cinéma où vous êtes aussi devenu un concept… Quentin Dupieux, le roi de l’absurde…

Q.D.: Oui mais ce n’est pas du marketing. Ça, c’est le fruit de mon travail. Quand je dis marketing, je parle vraiment de marketing. Quand les Daft Punk sortent un nouvel album, pourquoi tout le monde a envie de ce disque au même moment ? C’est du marketing ! Il y a eu beaucoup d’argent dépensé pour des affiches. Je vis à Los Angeles, y’en avait sur tous les billboards. En l’occurrence pour les Daft Punk, c’est super,. Moi, je ne suis que le fruit de mon travail. On m’accuse d’être branché, on m’accuse de tout, ce n’est pas très grave et normal, mais en marketing je ne fais rien, on n’a pas d’argent, je suis tout petit dans l’industrie du cinéma ou de la musique. J’ai une fan base, mais ce n’est pas le résultat du marketing. Demain, tu me donnes 20 millions, et je « markete » la marque Quentin Dupieux, on pourrait faire de grandes choses, vendre plus de DVD, toucher plus de gens. Là, je ne suis pas fabriqué.

24 I : Justement, cette idée d’être non fabriqué… On la retrouve dans WC, via des plaisanteries assez enfantines, puériles, je pense par exemple au flic qui supplie une jeune femme de lui dévoiler sa poitrine, cette dimension-là de l’enfance, de ce refus de grandir, quelque chose de non cadré loin de ce que l’âge adulte impose. En avez-vous conscience ?

Q.D.: C’est très intéressant… Pour moi, le concept de l’âge adulte, c’est une aberration, la maladie de notre planète. On naît avec un esprit d’enfant, et la société fait que l’on doit se transformer en adulte. Je le vois tous les jours : plein de gens, en devenant adultes, ont renié l’enfant qu’ils étaient. Ils deviennent un adulte triste, sans imagination, sans rêve, ou alors des rêves débiles comme avoir une Porsche, et ils perdent la magie. Je ne tiens pas 20 minutes face à quelqu’un qui n’est plus un enfant. Un enfant a l’esprit libre, tout est possible. Depuis longtemps, j’ai compris que je suis encore cet enfant. Oui, je conduis une voiture, j’ai des responsabilités, je gagne de l’argent, j’ai moi-même un enfant, mais cela ne veut pas dire que je ne suis plus un enfant. L’enfant est là. C’est complètement en moi.

24 I : Qu’est-ce qui vous fait rire ?

Q.D.: Au cinéma, rien. Il y a quelques années, il y a eu des trucs fabuleux, je pense aux Rois du Patin avec Will Ferrell et Jon Heder. J’ai adoré. Hors cinéma, Tim & Eric – Eric joue d’ailleurs dans Wrong Cops – un duo de comiques américains super trash, ils font des trucs géniaux. Ils ont fait un film génial Tim & Eric’s Billion Dollar Movie. Jon Lajoie me fait rire aussi. Au cinéma, en ce moment, je ne ris pas. La mécanique du rire est maintenant toujours la même… Rien que de voir un générique, un peu comédie, où on t’emmène dans un truc marrant, déjà j’ai plus envie de rire, ça me fait chier. Même chose pour un comique sur scène. Il y en a un en France, il faudrait le pendre par les pieds sur la place du village. C’est Gad Elmaleh. Il se fait rire lui même, il arrive sur scène déjà mort de rire, c’est impossible, je peux pas rire d’un mec qui se trouve drôle. C’est des mécaniques de rire trop bas de gamme.

24 I : Et Alain Chabat qui joue dans votre prochain film Réalité ? Il vous fait rire ?

Q.D.: Le film est tourné, je suis en train de le monter. Alain Chabat, c’est particulier, c’est ma culture. J’ai grandi avec Les Nuls. La France sortait du petit théâtre de Bouvard, l’humour était poussiéreux, ringard. Puis boom ! D’un seul coup, il y a eu Les Nuls. Ca me faisait hurler de rire, je les ai suivi pendant dix, quinze ans. C’était une façon détournée de te faire rire. Ce qu’on a fait sur mon film, c’est très très bon. Alain joue un réalisateur… Je m’inspire de quelques rendez-vous que j’ai eu avec des producteurs en France qui m’ont cassé les genoux à une époque où j’avais pas encore fait de films. Je suis parti de cette idée, d’un réalisateur qui essaie naïvement d’avoir un projet de film et qui est confronté à un producteur horrible. Et ça, sous l’angle de la comédie. Mais ça n’est que 20% du film. C’est un film patchwork, qui contient tout un tas de trucs, qui questionne la réalité, « qu’est-ce qui est vrai, pas vrai ? ». C’est un film cosmos qui t’amène dans la réalité d’un mec qui vire un peu fou.

24 I : Wrong Cops est présenté au public montréalais ce soir dans le cadre du FNC. Vous êtes nerveux ?

Q.D.: Bien sûr. C’est pour ça que je te dis que je ne suis pas nihiliste au point d’en avoir rien à foutre. Quand j’assiste à une projection, si les gens s’en vont, qu’il n’y a pas réaction, je suis triste comme tout le monde. Mais il suffit qu’un groupe de 30 personnes hurlent de rire, et je suis satisfait. Même si 40 autres partent. Il y a toujours l’espoir de plaire à tout le monde, mais ça n’existe pas. Il y a des gens qui vont adorer, des gens qui vont pas comprendre, et des gens qui vont détester au point de partir. C’est tout le temps vrai. Cannes, par exemple. Woody Allen a présenté son dernier film, tu vois les images, c’est standing ovation, tout le monde debout, genre c’est fou, waw, merci Woody ! Puis après je bois un café avec un copain réalisateur qui était à cette projection, il me dit : c’est une merde ! T’as pas idée ! On s’est levés pour faire plaisir à Papy ! (Rires). Tu vois ce que je veux dire? Ce qu’on pense est toujours détourné. Moi par exemple, si ce soir j’entends 30 rires, j’aurais l’impression que la salle est en délire ! Mais il y a tout ceux qui détestent… Notre perception est toujours fausse. Donc, j’ai décidé de m’en foutre.

 

Propos recueillis par Céline Gobert le 14 octobre 2013, dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma

 

La bande-annonce de Wrong Cops


15 octobre 2013