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Entrevues

Valérie Donzelli

par Helen Faradji

Un couple, un enfant malade. Une histoire vécue par la réalisatrice et son co-scénariste. Mais surtout, un film qui s’aventure sur les chemins de traverse du mélo pour se transformer en film de guerre, en comédie musicale, en roman-photo, en cri primal, celui que la vie sera toujours plus forte que la mort. Avec fantaisie, humour et grâce, mais aussi quelques tics plus branchés et agaçants, Valérie Donzelli a tout de même réussi un petit miracle : transformer un sujet impossible en grand film d’amour. De passage au Festival du Nouveau Cinéma, elle nous a parlé de son lumineux La guerre est déclarée.

24 Images : Vous avez une formation en architecture. Malgré leur esprit « pris sur le vif », La guerre est déclarée, ainsi que votre précédent La reine des pommes, semblent très construits, très mis en scène. Est-ce que cette formation a influé sur votre conception de la mise en scène? 

Valérie Donzelli : Je pense que oui. C’est marrant, parce que je n’ai pas fait architecture en me disant qu’un jour, j’allais faire du cinéma, mais je crois que l’architecture a un lien très profond avec le cinéma. Dans les deux cas, c’est une capacité de mélanger l’art et la technique et surtout de savoir conceptualiser une idée. Au départ, on a une idée, qui n’est qu’un concept, qui n’existe pas et on essaie de lui donner forme, de lui donner un corps en la rendant vivante et possible. Le cinéma, c’est un peu ça. Avoir un désir en soi, qui est un peu flou, et ensuite de lui donner un corps avec un scénario, un tournage, des images, un montage, de la musique. Donc, oui, je crois que les deux pratiques sont assez proches.

24I : Sans aller jusqu’au mot collage, vos films agrègent différents styles, genres et formes qui a priori ne « vont pas ensemble ». Au-delà de l’histoire qu’il raconte, un film est-il aussi pour vous un lieu d’expérimentations? 

V. D. : Ah oui, vraiment. Le cinéma est un lieu d’expérimentation et les films sont des laboratoires. C’est un langage et il faut réussir à trouver le sien. Le mien, c’est celui que j’ai trouvé dans mes films. Je n’ai pas appris à faire des films. Je l’ai fait de façon assez spontanée, instinctive et c’est ce qui me plait. Ce sont mes règles, et je ne suis pas obligée de me conformer à des règles qu’on m’impose. Je les fixe moi-même et je suis consciente qu’elles peuvent paraître parfois assez déroutantes, mais c’est comme ça que je sais faire. Pas autrement.

24I : Dans toutes vos entrevues, vous évoquez cet aspect autodidacte, instinctif. Avez-vous peur du mot « professionnelle »? 

V. D. : Pas du tout (rires). Mais ce que je veux dire, c’est que je ne me suis pas dit, toute petite, je veux faire des films. Ça a été une rencontre tardive. Je ne considère pas mes films amateurs. Mais j’ai rencontré le cinéma assez tard, et la cinéphilie encore plus tard. Et je crois que mes films sont d’abord et avant tout une manifestation de cet amour pour le cinéma. Et c’est ce qui me bouleverse avec le cinéma, cette capacité à nous embarquer et à raconter quelque chose. C’est la question de fond qui me préoccupe, ce qu’on va raconter. Après, la forme, on en fait ce qu’on veut.

24I : Est-ce que le cinéma est aussi une forme de catharsis? 

V. D. : Peut-être, oui, je ne sais pas. Ce sont des choses qui sont en moi, que j’ai envie de dire, c’est sûr. Mais sur la Guerre est déclarée, oui, je raconte quelque chose qui m’est arrivé, mais je voulais plus parler de valeurs qui me sont importantes, comme la solidarité, le fait qu’on est plus forts à deux que seul, la complémentarité, qu’on est libre de faire ce qu’on veut de sa vie.

24I : Le film parle aussi d’une bataille dont l’arme principale serait un goût presque forcené du bonheur. 

V. D. : Oui, c’est leur façon d’essayer de faire perdurer cette petite bulle de bonheur, d’amour qu’ils ont eu tous les deux. Et je voulais aussi poser la question : pourquoi est-ce que, lorsqu’on a eu un tel malheur dans sa vie, on devrait être malheureux? On a le droit aussi d’essayer d’être heureux.

24I : La forme du film transcrit bien cette légèreté, cette propension au bonheur 

V. D. : Oui, les deux sont intimement liés. Et moi, ce que j’aime, ce sont les choses qui ont une apparence douce et qui racontent des choses un peu plus graves. C’est pour ça que j’adore les comédies comme celles de Chaplin. En apparence, ce sont des comédies, mais elles racontent souvent des choses très émouvantes, très tragiques, comme des vagabonds qui sont maltraités. Ce sont des choses qui me touchent, utiliser la légèreté pour raconter quelque chose d’un peu plus profond.

24I : Pendant la maladie de votre fils, vous avez tenu un journal de bord. Quel a été l’élément déclencheur qui vous a donné envie de le transformer en scénario? 

 

V. D. : Après La reine des pommes, j’avais le désir de refaire un film avec Jérémie (Elkaïm, co-scénariste et acteur de La guerre est déclarée) et de faire un film qui soit aussi très différent dans sa forme, en scope, pour pouvoir explorer autre chose d’un pur point de vue cinéma. Et avec Jérémie, on trouvait que cette expérience qu’on avait vécue était une matière intéressante pour en faire une grande aventure et un film romanesque. Après, notre fils était complètement guéri et cette histoire faisait plus partie du passé qu’autre chose. On avait donc le recul nécessaire pour pouvoir y replonger, et notamment dans les notes très réalistes qu’on avait prises. Et ensuite, ça a été la rencontre avec Edouard Weil (le producteur) et la nécessité qui s’est imposée à moi de le faire. Je sentais viscéralement qu’il fallait que je le fasse.

24I : Comme La reine des pommes, La guerre est déclarée laisse penser que l’intime est un de vos moteurs créatifs? 

V. D. : Oui, absolument. Je chercherais toujours à raconter quelque chose qui corresponde à quelque chose d’intime en moi. Par exemple, mon prochain film sera peut-être le plus intime que je vais faire, alors même qu’il est entièrement inventé. Ça parlera du lien, de l’impossibilité de se séparer, la dualité entre la province et Paris, mais aussi de danse, du corps, de comment réussir à accomplir son propre désir sans chercher à le faire à travers l’autre…

24I; Auriez-vous pu imaginer qu’une autre actrice que vous joue le rôle de Juliette?

V. D. : Au début, je le voulais. Mais je n’arrivais pas à imaginer qui pourrait le faire. Mon désir n’était pas très clair, mais je savais une chose, je ne voulais pas d’une performance d’actrice. Je n’ai pas fait ce film pour montrer combien on était bons acteurs. Je l’ai fait pour faire un film et que les acteurs soient comme des gens qu’on observe. Et c’est ce qui est parfois compliqué avec les acteurs, même si c’est bien normal, ils veulent montrer leur travail. Donc, je l’ai fait moi-même.

24I : Est-ce que c’était une façon aussi de reprendre le contrôle sur ce qui s’est passé? 

V. D. : Oui. Quand on le vit, on est victimes, on ne sait pas comment les choses vont se passer. Là, je devenais vraiment actrice en le jouant. Et d’ailleurs, retourner dans les hôpitaux a été très réparateur, parce qu’on y allait en étant actifs.

24I :Depuis sa présentation à La Semaine de la critique, le film a un succès phénoménal partout où il va. Est-ce que vous vous l’expliquez, entre autres, parce qu’il est, peut-être en premier lieu, un « feel-good movie »? 

V. D. : Oui, c’est un film qui fait du bien, je crois. Et je pense aussi que c’est un film qui confronte le spectateur à sa pire angoisse, la maladie d’un enfant, et de voir un film où des héros arrivent à y faire face, ça rassure.

24I : Vous allez tourner dans le prochain film de Denis Côté

V. D. : Je vais faire Flo ou Vic, je ne sais plus. Je n’ai pas lu le scénario encore, même si je sais de quoi ça parle. Je l’ai rencontré au festival de Tübingen, par téléphone, puis on a correspondu par mail avant de se rencontrer à Paris. Et j’ai vu ses films et j’ai trouvé que c’était quelqu’un d’intéressant. Et ses films sont tellement particuliers! Il a ce regard unique, un rapport au temps et à l’espace vraiment particulier. Et quand on voit un film de lui, puis un autre, on reconnaît immédiatement que c’est un film de Denis Côté, il a un langage bien à lui et ça, ça m’intéresse. Et c’est quelqu’un d’intelligent, de drôle. Il est passionnant.

Propos recueillis par Helen Faradji


8 juillet 2013