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DVD

La vidéo (je vois)

Numéro : 165
DVD offert avec la version papier pour les abonné.e.s, ou lors de l'achat du numéro sur notre boutique en ligne : Les 50 ans de l’art vidéo

par Luc Bourdon

Cette sélection d’œuvres vidéographiques, que les abonnés de 24 images pourront découvrir avec le présent numéro de la revue, offre un parcours chronologique allant de 1972 à aujourd’hui qui permet de survoler l’histoire de la vidéographie d’ici. Cet ensemble, qui s’appuie sur quelques incontournables, s’achève avec 10 courtes œuvres réalisées par 10 artistes qui se sont inspirés des 50 ans d’art vidéo pour créer une œuvre d’une minute (collection présentée au 42e Festival du Nouveau Cinéma de Montréal et aux 26e Instants Vidéo Numériques et Poétiques de Marseille). Nous vous proposons donc un regard à la fois rétrospectif et prospectif, couvrant du temps du noir et blanc à l’analogique, de la surveillance à la performance, de l’introspection à l’éclatement, célébrant des formes et des genres divers, de même que les grands thèmes de cet art.

Nous commençons par un extrait de Hitch-Hiking de Frank Vitale qui, en 1972, explore les manières de « faire du pouce » tout en illustrant les possibilités du « Portapack » comme instrument léger d’enregistrement d’événements et de témoignages. Tel que décrit dans le synopsis écrit sur la plate-forme Vithèque, Hitch-Hiking se divise en trois segments. Dans un premier reportage intitulé Hitchhike 1 – Auto, Vitale nous présente des trajets entre les États-Unis et le Canada. Dans Hitchhike 2 – Train, il rencontre un jeune vagabond de 17 ans qui l’initie au « jump » sur les trains de marchandises. Enfin, dans le segment retenu pour le DVD, Hitchhike 3 – New-York State Police, le réalisateur y filme son arrestation par un policier américain sur le bord de la route où il fait du pouce. Caméra sous le bras, il profite de sa nouvelle technologie (invisible ?) pour enregistrer l’interrogatoire qu’il subit à l’insu du policier qui lui fait la morale, entre autres sur cette nouvelle manière de voyager des jeunes (« the worst mean of transportation » – le pire moyen de transport, selon lui). Ton ironique et caméra cachée deviennent ici un clin d’œil à une époque où les autopatrouilles ne connaissaient pas encore les incroyables capacités de surveillance qu’offrira par la suite ce nouvel outil de captation du réel.

Au début des années 1980, Robert Morin, avec l’aide de Lorraine Dufour, invente un personnage qui, de sa fenêtre, filme la rue et ses voisins. Le voleur vit en enfer devient vite une œuvre incontournable de l’art vidéo par la force du récit, sa construction simple et efficace, le regard que Morin jette sur la pauvreté et la détresse d’un individu. «  L’histoire est celle de Jean-Marc, un nouveau chômeur, qui se confine volontairement dans son petit appartement d’un quartier pauvre. Il parle au téléphone avec une écoutante de Déprimés anonymes et lui décrit ce qu’il voit et entend de sa fenêtre, ce qu’il filme en super 8. Ce voisinage le déprime. Il devient peu à peu fou… Un an plus tard, après un séjour à l’hôpital, Jean-Marc appelle à nouveau la bénévole du centre d’aide aux gens déprimés pour annoncer sa guérison, alors qu’il apparaît plus malade que jamais… »1 Avec cette courte vidéo, Robert Morin amorce une critique sociale décapante qui trouvera dans la société une résonance qui ne se démentira pas. Cette critique s’incarne ici pour la première fois dans la figure d’un homme à la caméra qui filme son entourage afin de comprendre le sens d’une existence en péril.

Les années 1980 sont aussi celles de la terrible prolifération du SIDA. Trop d’hommes et de femmes si chers à leurs proches et à notre société nous ont quittés durant cette période particulièrement éprouvante. En 1990, Esther Valiquette signe, avec Le récit d’A, une œuvre testamentaire basée sur plusieurs voix qui se croisent et se font écho. Le récit de Andrew, un carnet de voyage, la pensée d’un auteur deviennent ici autant de témoignages qui se fondent les uns dans les autres, alors que les images se superposent. Fiction et documentaire, économie de gestes et constructions expérimentales sont ainsi sublimés par une trame visuelle et sonore teintée par le temps. Traces laissées par Esther Valiquette qui nous semblent aujourd’hui, encore et toujours pertinentes.

Suit une proposition de l’artiste vidéo multidisciplinaire Manon Labrecque qui, dans En deçà du réel (1997), déconstruit le monde qui est le sien. Seule, dans un espace vide, la chorégraphe plasticienne, bricoleuse, vidéaste, Manon Labrecque danse et rit. Elle s’amuse avec l’image et les sons, procédant par aller-retour, passant et repassant sur un même passage afin de « compresser, étirer, essorer l’espace-temps. Découvrir la charge d’un réel plutôt banal », comme elle le dit elle-même. « Existe-t-il au-delà de ce que l’on voit une réalité qui use l’inutile ? », constitue l’unique phrase de cette vidéo où l’artiste entre dans les replis de sa réalité, cherchant à voir « entre les lignes » de son existence… « le mouvement, le ralentissement, la suspension du temps, son étirement et les limites de l’image jusqu’à la défiguration, voire la désintégration du signal. » (Nicole Gingras)

Dans la foulée de ceux qui prennent la caméra pour magnifier le réel et y dévoiler une poétique numérique, Nathalie Bujold signe une première œuvre vidéographique en 1999, réalisée à l’aide d’une petite caméra domestique. Performatif et sans prétention, Emporium s’avère une « collection de moments improbables, des jeux dans la cuisine avec les pieds, les mains, la bouche et la radio »2. Il s’agit d’une série de tableaux où « la nourriture se trouve transformée en un objet d’usage surréaliste, parallèle à son utilité première »3 ; d’un petit magasin de l’imaginaire issu de l’univers domestique où l’auteure fait le commerce des idées et des images.

Rendant hommage à l’onirisme, le parcours de ce programme (ce je vois de la vidéo), qui passe de la caméra de surveillance de Frank Vitale à celle que Nathalie Bujold braque dans sa cuisine, se clôt avec la création 10 X minutes vidéo réalisée par un collectif d’artistes québécois issu d’un art numérique multiforme. Tel que mentionné en ouverture de ce dossier, le projet a pour origine l’histoire de la création en vidéo, qui célébrait ses 50 ans d’existence en 2013. Un projet qui prend la forme d’un exercice de style, d’une vidéo d’art à sketches, produit par le Conseil Québécois des Arts Médiatiques (CQAM).

1. D’après le site Vithèque

2. Site de l’artiste

3. Site La bande vidéo

 


10 Décembre 2013