Je m'abonne
DVD

Les Arts de la parole

Numéro : 184
DVD offert avec la version papier pour les abonné.e.s, ou lors de l'achat du numéro sur notre boutique en ligne : David Lynch – Au carrefour des mondes

Trois questions pour Olivier Godin

 

propos recueillis par Alexandre Fontaine Rousseau

 

La facture visuelle particulière des Arts de la parole évoque pour moi en partie l’ère VHS. J’ai l’impression que tu as d’abord été, comme un peu tout le monde de notre génération, un « cinéphile de cassettes ». As-tu l’impression que ça a eu une influence sur l’esthétique du film, sur ta perception du cinéma en général ?

Oui, comme toi, enfant, j’ai dû visionner beaucoup de cassettes en les choisissant sans trop de discernement ; j’imagine qu’il suffisait que la pochette m’attire et que je sois assez grand pour l’atteindre (et ce n’était pas toujours le cas). Ça me fait peut-être un bagage un peu curieux et duquel je conserve le souvenir de grandes rencontres. S’il est vrai qu’on puise toujours dans son bagage, je ne veux pas jouer pour autant la carte de la nostalgie et faire un cinéma d’emprunt. C’est le présent qui m’intéresse. Visuellement, il est vrai par contre que je trouve, d’une manière assez générale, que le cinéma populaire était mieux photographié autrefois. Dans les gros films d’aujourd’hui, souvent, je trouve qu’on sent trop l’intermédiaire numérique. J’ai souhaité réaliser une authentique comédie d’action. Il faut avoir des principes pour se lancer dans une telle entreprise. La facture visuelle des Arts de la parole relève également du choix d’une caméra qui n’est plus tellement au goût du jour, mais qui me plaisait, notamment parce qu’elle exigeait beaucoup de lumière, une direction photographique soignée et des choix conséquents en étalonnage. Comme toi sûrement, je ne pense pas que je revisionnerais les VHS de mon enfance et si je revois aujourd’hui ces films, c’est tout le temps dans des versions restaurées. Je pense ainsi pratiquer le cinéma avec un souci de qualité qui vient aussi de ma génération.

Ton cinéma « n’emprunte » pas, effectivement. Mais il fait référence, énormément. À de nombreuses figures historiques et littéraires québécoises, notamment. Selon quelle logique se constitue cette constellation de figures qui guident d’une manière ou d’une autre ton récit ?

Selon, peut-être, une logique instinctive. Ce n’est pas tout à fait une réponse. Mais j’aime bien le mot constellation. Je prends dans la constellation ce qui me semble juste pour l’humeur – l’élan – du récit. Je cherche un certain ton ou une pluralité de tons qui pourraient former un tout cohérent. Il y a beaucoup de références, peut-être. Mais je veux qu’elles puissent créer du contenu. Que la référence fasse un peu la navette entre le spectateur et le contenu, mais sans trop charrier d’éléments. Sans que ce soit didactique. Il me semble aussi important de nommer certaines choses, ne serait-ce que de les nommer… Pierre Maheu par exemple qui est un penseur et un cinéaste important. Même si je ne suis peut-être pas le garçon le mieux équipé pour parler de lui, il me semblait important de lui, disons, adresser la parole. Il me permettait aussi de rebondir chez Jacques Ferron à qui je voulais également donner la parole. Les références, qui sont surtout littéraires, je les voulais un peu joueuses. Pas du tout des écrans de fumée, pour faire intello, ou de simples hommages pour faire le futé. Si ça permet au spectateur de construire quelque chose, de dialoguer avec le présent, en passant par le passé, alors je trouve ça beau. Je convoque la musique autant que la littérature ou le cinéma. Que ce soit le Nick Fury de Steranko (ou le Snake Plissken de Carpenter), le Saint-Élias de Ferron, les chansons traditionnelles de Terre-Neuve, c’est quelque part dans la constellation. Ça forme un tout que j’ai espéré cohérent. Rien de cela, j’espère, ne vient nuire à la compréhension du récit. Pour guider le récit, j’aime bien les personnages et pour résumer, j’aimerais dire que les références viennent d’eux. Koroviev, policier poète, est beaucoup plus cultivé que moi !

Ton film n’est pas à proprement parler une « comédie » mais la comédie y joue, malgré tout, un rôle important. J’ai l’impression que l’humour, chez toi, est un élément poétique comme les autres – et, surtout, aussi noble que les autres.

À proprement parler, je ne fais peut-être pas des comédies. Tu as raison. Je n’aime pas trop les étiquettes. Mais en création, il faut des repères. J’aime la comédie romantique. Elle s’apparente souvent au conte. S’il fallait à tout prix étiqueter Les Arts de la parole, je te proposerais peut-être « Conte Romantique Policier » – qui me semble un sous-genre négligé et pourtant très riche en possibilités, notamment parce qu’il ne peut être dépourvu d’humour. Mon ambition est peut-être de faire des comédies romantiques d’action. Cela se travaille instinctivement et cela implique de l’humour. Poétique, je ne sais pas. La poésie aurait le dos large. Un élément narratif essentiel, oui. Mais si W.C. Fields est poétique, alors bien sûr !

 


24 octobre 2017