Petit Pow ! Pow ! Noël
Numéro : 163Le réveillon funeste
par Alexandre Fontaine Rousseau
Petit Pow ! Pow ! Noël est sorti la même année que La neuvaine de Bernard Émond. Il peut, de prime abord, ne sembler exister aucun lien entre ces deux œuvres que tout sépare sur le plan du ton et de la forme. Mais, à bien y penser, c’est un peu comme si le film de Morin était le double maléfique de celui d’Émond. Il y est en effet question du même héritage, de la survivance (ou de la disparition) des mêmes vertus théologales dans le monde contemporain : « Déjà qu’est-ce qui nous reste des chrétiens c’est juste des habitudes qui s’en vont chez l’diable à mesure qu’les vieux meurent, qu’les jeunes poussent pis qu’l’argent parle. »
Petit Pow ! Pow ! Noël est sorti la même année que La neuvaine de Bernard Émond. Il peut, de prime abord, ne sembler exister aucun lien entre ces deux œuvres que tout sépare sur le plan du ton et de la forme. Mais, à bien y penser, c’est un peu comme si le film de Morin était le double maléfique de celui d’Émond. Il y est en effet question du même héritage, de la survivance (ou de la disparition) des mêmes vertus théologales dans le monde contemporain : « Déjà qu’est-ce qui nous reste des chrétiens c’est juste des habitudes qui s’en vont chez l’diable à mesure qu’les vieux meurent, qu’les jeunes poussent pis qu’l’argent parle. »
Comme le dit Morin lui-même, qui se met ici en scène dans le rôle d’un « fils » venu se débarrasser une fois pour toutes de son « père » : « Si le Diable avait écrit un évangile, tu penses pas que tous les chrétiens l’auraient lu ? » À cette méthode empreinte de morale qu’applique sentencieusement Émond, Morin oppose la sienne, plus cavalière, plus cinglante, plus imprévisible. Mais ces deux démarches en apparence contradictoires se complètent parfaitement. Tandis qu’Émond cherche à « sauver » ce qu’il y a encore à sauver du passé, Morin dresse entre autres choses le portrait tragique d’une mère qui « s’est fait avoir par sa conscience chrétienne » et d’une société qui garde en vie ses malades dans un simulacre de charité institutionnalisée.
Drôlement situé dans la filmographie de son auteur, entre Le Nèg’ et Que Dieu bénisse l’Amérique, Petit Pow ! Pow ! Noël se positionne aux antipodes de ces deux productions « professionnelles » et relativement accessibles, s’inscrivant au contraire dans la lignée directe de ses œuvres vidéo plus intransigeantes telles que Yes Sir ! Madame… ou Quiconque meurt, meurt à douleur. Mais même cette filiation, pourtant redoutable, ne permet pas de rendre compte avec précision de la cruauté presque insoutenable de cette troublante fiction – qui fixe le réel avec une telle ardeur qu’elle finit presque par s’y fondre et du coup nous confondre.
« Ces caméras-là, ça ramasse pas les odeurs », dit Morin à une infirmière venue changer la couche du vieillard qu’il filme. Mais c’est tout comme. Portrait douloureux de la décomposition humaine, décomposition des corps comme des relations, Petit Pow ! Pow ! Noël s’avère une expérience physique éprouvante, dont les images à vif, quasi obscènes trouvent pourtant le moyen de demeurer décentes. La buée qui recouvre l’objectif de la caméra lors de la scène de torture sous la douche vient naturellement masquer ce spectacle, comme si les lois de la physique elles-mêmes se chargeaient d’imposer une limite à ce que l’on peut montrer.
Il ne fait pourtant aucun doute que Morin filme l’homme se tenant devant lui comme s’il procédait à sa mise à mort. « C’est pas à tous les jours qu’on se fait filmer », affirme l’infirmière à l’intention de son patient. « C’est pas tous les jours qu’on devient un souvenir », rétorque sèchement Morin, menaçant. « J’suis là pour mettre fin à tes jours, comme on élimine un vampire dans son sommeil. » Puis, contemplant le dentier du vieillard, il se permet cette pointe d’humour noir : « T’as beau avoir mis tes dents de côté pour la nuit, Dracula, t’es pas moins dangereux pour autant. »
Comme dans Yes Sir ! Madame, Morin utilise ici le cinéma en tant que dispositif de dédoublement – entreprenant, durant la dernière partie du film, de jouer à sa place le rôle de son père, soi-disant incapable de prendre la parole. « C’est difficile de comprendre le mal des autres tant qu’on n’essaye pas de s’mettre dans leur peau », fait-il dire à sa marionnette, expliquant par le fait même sa démarche. Car ce cinéma de ventriloque, c’est bien de cela qu’il s’agit lorsque Morin pose sa voix sur des images qui défilent sur l’écran d’un téléviseur, n’est-il pas justement une façon qu’a trouvée le cinéaste de vivre d’autres vies que la sienne, de prendre ses distances par rapport à lui-même ?
L’ultime coup de théâtre du film sert à créer une distance entre l’auteur et son personnage, à mettre en évidence la dimension fictive de son œuvre. Tout ceci n’est pas exactement vrai, semble vouloir rappeler Morin par le biais de ce revirement inattendu, espérant peut-être se protéger un peu, après s’être ainsi mis à nu. Mais le spectateur, qui n’est pas dupe, sait très bien que le réalisateur vient de signer son film le plus intime et, par le fait même, le plus émouvant ; qu’en offrant à son propre père de se prêter à ce jeu, il désirait faire du tournage une forme de thérapie. Au bout de cette descente aux enfers, après un générique d’une sobriété absolue, Morin nous laisse sur quelques images privées, d’une étonnante tendresse. « Bon ben là, c’est fait. Merci pops. » La thérapie semble avoir fonctionné.
Québec, 2005. Ré., scé. et ph. : Robert Morin. Mont. : Sophie Leblond et Martin Crépeau. Dir. art. : André-Line Beauparlant. Concept. son. : Louis Collin. Int. : André et Robert Morin. 91 minutes. Prod. : Robert Morin (F pour Film) et la Coop Vidéo.
20 août 2013