DVD

Picture of Light

Numéro : 157
DVD offert avec la version papier pour les abonné.e.s, ou lors de l'achat du numéro sur notre boutique en ligne : Mettler, l’alchimiste

La réalité du cinéma, c’est la maîtrise de la lumière.

par Pierre Jutras

 

Dans Picture of Light, Peter Mettler va à la recherche d’une lumière inatteignable(à tout le moins évanescente), celle émise par les aurores boréales. Et, pour ce faire, il crée une forme particulière de récit qui consiste à filmer son sujet en expliquant en même temps comment et pourquoi il le filme. Il nous guide en quelque sorte, espérant ainsi qu’on le suive dans sa « poursuite du merveilleux ».

Tout d’abord, le réalisateur nous présente ses instruments de captation et les hommes qui les manipulent (soulignons ce magnifique autoportrait du cinéaste-caméraman devant le miroir des minuscules w.-c. du train qui transporte l’équipe vers son lieu du tournage à Churchill, en Alberta). Et, surtout, il nous fait part de l’indispensable nécessité d’adapter sa caméra à des expositions plus longues et à une vitesse d’obturation plus courte, car les aurores boréales ne se laissent pas aisément filmer. Leurs mouvements sont comme des pensées, dit le narrateur-réalisateur en voix off. Il est aussi possible qu’elles ne puissent pas être filmées, ajoute-t-il plus loin.

Ses rencontres avec les gens de ce coin de pays – où les conditions de froid extrême ne sont pas seulement éprouvantes pour les habitants, mais difficiles aussi pour le bon fonctionnement de la caméra – entraînent le cinéaste à mieux définir le but de son entreprise, plus ou moins initiatique, chacun apportant ses interprétations, ses expériences, ses croyances quant à ces « fantômes du ciel », à ces « déclencheurs de l’imagination » que sont les aurores boréales. Un vieil Inuit raconte, justement, que son grand-père lui disait de ne pas regarder ces lumières, « car si on les fixe avec les yeux, elles s’approchent, viennent tout près, et tout à coup on entend ce bruit comme un vent fort » : ce sont « les morts qui viennent saluer les vivants », conclut-il. C’est alors que l’on saisit la plénitude de la musique du film composée par Jim O’Rourke et Fred Frith (quelques fois amalgamée à des chants de gorge inuits), à la fois lancinante, obsédante, sidérale, tragique et, surtout, en parfaite harmonie avec ces images boréales.

Plus tard, filmant longuement, en silence, un Inuit âgé dont la respiration oppressante nous envahit alors que son regard hésitant fixe à quelques reprises la caméra, avant de prendre la parole et d’affirmer, comme si c’était le bilan de sa vie, « qu’avant tout il aimait chasser », Mettler transpose dans son travail cette image du chasseur qui, au lieu de partir à la recherche de nourriture, « part dans l’Arctique pour capter une image de la lumière, attiré par un miracle de la nature. » La position fondamentale du cinéaste est exprimée par cette métaphore qui pose l’acte de filmer comme étant celui d’un chasseur moderne qui, n’ayant plus besoin de capturer des bêtes pour se nourrir, recherche autre chose, en l’occurrence des images, pour nous divertir et nous occuper.

Alors qu’il s’interroge toujours pour savoir si la nature peut être filmée, le réalisateur parvient à tourner, le 23 février 1992 grâce à un ciel finalement clair, à 20 secondes par image, de majestueuses couleurs (qui varient du blanc au jaune, au rouge, au bleu, vert ou violet) et d’inquiétants mouvements (en arcs, en bandes, en draperies, en rideaux ou en couronnes) des aurores polaires. Aussitôt après, il enchaîne avec des images prises d’une station spatiale où un astronaute tente d’expliquer scientifiquement l’origine de ce phénomène des plus complexes. On a alors l’impression de voir un film de science-fiction se déroulant dans l’univers sidéral.

Et les 12 dernières secondes du film sont totalement noires, seule la musique continue, comme si le réalisateur voulait ainsi nous rappeler qu’après avoir tant cherché la lumière, il fallait maintenant fermer les yeux et ne regarder que notre propre rétine, notre lumière intérieure, notre imagination.

Canada, 1994. Ré., texte et ph. : Peter Mettler. Ph. additionnelle. : Gérald Packer et Mark Cyre. Mont. : Mettler et Mike Munn. Mont. additionnel. : Catherine Martin et Alexandra Gill. Son : Leon Johnson et Gaston Kyriazi. Mont. son. : Mettler, Peter Braeker et A. Gill. Mus. : Jim O’Rourke. Prod. : Peter Mettler, A. Gill (Grimthorpe Film) et Andreas Züst. 83 minutes.

 


22 août 2013