Prank
Numéro : 193Entretien AVEC VINCENT BIRON
PAR ALEXANDRE FONTAINE ROUSSEAU
Ça fait maintenant trois ans que Prank est sorti. Dirais-tu qu’avec le recul, ta perception du film a changé ?
J’ai certainement plus de tendresse à son égard. En ce moment, je suis surpris quand les gens me disent qu’ils ont aimé Les barbares de La Malbaie, mon nouveau film. Parce qu’à chaque fois que je le vois, je trouve que tout sonne faux. Je ne dis pas ça parce que je n’aime pas le travail qu’ont fait mes acteurs. Je suis fier de mes choix et je me suis consciemment concentré sur la direction d’acteur pour ce projet. Mais tu finis par connaître ton film par cœur et par ne voir que les choses qui auraient pu être mieux. Mon recul par rapport à Prank me permet de mieux l’apprécier. Je me dis le film a été fait avec tellement de candeur… C’est un peu comme repenser à sa jeunesse. Il y a un moment où on repense à son adolescence en se disant : « criss que j’étais cave. » Mais on finit par accepter le fait qu’on n’avait pas tellement le choix de l’être.
Tu parles de « candeur » et il me semble évident qu’à sa sortie, c’est un peu ce que les gens ont souligné en parlant du film. Prank était un peu précédé par son image de film tourné avec les moyens du bord, ce qui était rafraîchissant dans le contexte d’un milieu où les gens n’assument pas toujours leur côté fauché.
C’est-à-dire que, quand les gens l’assument, on sent que c’est souvent avec une certaine amertume. Je crois que ce qui nous distinguait, c’est qu’on a fait un film fauché qui assumait, paradoxalement, son côté populaire. Qui ne disait pas « fuck l’industrie, fuck la comédie. » On a fait un film qui n’aurait pas passé à la SODEC, un truc qui était à la fois un peu niaiseux et en même temps un peu intello. Je pense que c’est aussi ça qui a surpris les gens. On n’avait rien à prouver. Tout ce qu’on s’est dit, c’est que personne ne nous donnerait d’argent pour faire ce film-là. La SODEC n’aurait jamais financé un film dont la conclusion montraient des personnages brandissant une banderole de vingt pieds avec un pénis. Et je trouve ça parfaitement correct que la SODEC ne finance pas des films comme ça. (Rires.)
Personne ne va pouvoir vous accuser d’avoir fait ce film-là avec ses taxes !
À l’époque, ça m’avait marqué, parce qu’un utilisateur du site Cinéma Montréal avait justement écrit un commentaire à ce sujet, comme quoi il ne pouvait pas croire qu’un film comme ça avait été financé avec ses taxes. Normalement, je ne réponds pas à des trucs comme ça. Mais cette fois-là, je me suis fait un plaisir d’aller écrire : « monsieur, vous serez heureux d’apprendre qu’il n’y a pas une maudite cenne de vos taxes qui a été sur ce film-là et le seul argent que vous avez mis dessus, c’est le prix de votre billet ! »
Ce que j’aime beaucoup, dans le film, c’est justement le fait qu’il ne tient pas à grand-chose. Un peu comme l’adolescence, au fond. C’est presque quelconque.
C’est clair que c’est très, très ténu. Le film est, à sa façon, une réaction aux coming of age en général. J’aime les films du genre qui sont très profonds, mais tout le monde dans l’équipe de Prank avait eu une adolescence assez ordinaire. On s’est dit que ce serait intéressant d’explorer cette zone-là, c’est-à-dire une adolescence un peu vedge qui ne mène à aucune grande révélation, à aucune grande remise en question existentielle. Nous, en fait, on chillait avec nos amis et c’était pas mal tout. J’aime beaucoup Alexander Payne et Joe Swanberg. Ce sont des cinéastes qui s’intéressent à de toutes petites choses. Le cinéma peut fonctionner à la manière d’une loupe. Il peut servir à magnifier des détails minuscules. Et je pense que le film repose beaucoup sur cette volonté d’explorer l’ordinaire.
Tu mentionnes des cinéastes indépendants américains comme Payne et Swanberg et j’ai l’impression qu’au Québec, on a beaucoup d’atomes crochus avec eux, tant sur le plan culturel que cinématographique, qui ne sont pas toujours assumés ou revendiqués.
Je pense que c’est le syndrome de l’école de cinéma, ça. On apprend à rejeter des influences comme celles-là, à se sentir mal qu’elles fassent partie de notre bagage. J’aime Béla Tarr. Mais mes premiers amours cinématographiques, ça reste des gens comme Richard Linklater. Je me souviens d’avoir vu Slacker à 17 ans et d’avoir été complètement déboussolé par le fait qu’on puisse commencer son film par une longue scène où un gars raconte un rêve dans un taxi. Il n’y avait pas de Béla Tarr au club vidéo de Pierreville. Mais, par miracle, il y avait une copie de Slacker. Pour moi, ce fut une révélation. J’ai l’impression qu’il y a aussi un peu de ça, dans Prank. C’est un film très décomplexé, par rapport à des influences comme celles-là. Dans Les barbares de La Malbaie, je pense qu’il y a un peu de Noah Baumbach, de Alexander Payne… et je n’ai plus peur de me revendiquer de ces cinéastes-là. Je ne renie absolument pas le cinéma des émotions, quand il est fait avec intelligence. Pourquoi l’émotion ne serait-elle pas noble ?
Tant dans Prank que dans Les barbares de La Malbaie, je pense qu’il y a une volonté d’aborder avec une sensibilité dramatique un matériel qui, de prime abord, semble plutôt se prêter à un traitement comique. Les répliques font souvent mouche d’une manière humoristique, mais la mise en scène ne cherche pas toujours à le souligner. Elle préconise, au contraire, une certaine distance.
Je crois que c’est vrai, même si je ne le fais pas nécessairement de manière consciente. Ce que je recherche, à travers la mise en scène, c’est quelque chose qui relève d’une certaine vérité émotionnelle. Alors, c’est sûr que les gags seront un peu plus en retrait. Je dis toujours aux comédiens de faire confiance à l’écriture, que le gag va passer sans trop qu’on insiste dessus. Une réplique comme « pendant que tu jouais à la balle au mur, moi je baggais des ploutes pis je terrorisais la ville », pas besoin de la pousser. Les gens vont réagir de toute façon ! Au Québec, on a peur des zones grises : une comédie est une comédie, un drame est un drame. C’est vrai que ça a quelque chose d’intimidant d’aller dans l’entre-deux. Au moment du tournage, notamment, ce n’est pas toujours évident. Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques, mon acteur principal sur Les barbares de La Malbaie, est un humoriste. Alors c’est sûr qu’il y a des répliques qu’il avait le goût de souligner pour faire rire le monde sur le plateau. Mais c’est important de se souvenir que les gens sur le plateau n’ont pas le même rapport à la scène que les gens qui vont voir le film en salle.
Quand j’ai lu la première version du scénario de Prank, j’ai été un peu désarçonné. J’avais vraiment peur de faire quelque chose de trop « pop », même si c’est au fond quelque chose qui me ressemblait énormément. J’étais toujours sous le joug de cette peur de ne pas avoir fait un film de festival. Je suis un cinéaste cinéphile, je lis les critiques… alors, j’avais l’impression que je « n’existerais pas » en tournant un film comme celui-là. Je voulais être considéré par le milieu qui réfléchit le cinéma. Je ne voulais pas qu’on me mette dans la même catégorie que Mariloup Wolfe, par exemple. C’est de l’ego à l’état pur. C’est dégueulasse. Mais c’est comme ça. J’ai eu quelques discussions plus corsées avec les scénaristes et les gars ont fait valoir leur point. Au bout du compte, j’ai compris qu’être un « auteur », ça signifie qu’on s’investit dans son film à un point tel qu’il devient une extension matérielle de notre âme. Quand on parle d’un « film d’auteur », ce qu’on veut dire au fond, c’est que tous les choix sont faits de façon assez sincère pour que le résultat final nous ressemble. Prank, dans toutes ses failles et ses forces, est un film qui me ressemble totalement – et qui nous ressemble, parce qu’il s’agit très clairement d’un projet collectif.
Ça revient à ce qu’on disait plus tôt sur les influences. J’aime autant Richard Linklater que Lynne Ramsay ; et toutes ces influences transparaissent dans le résultat final, même si le scénario est à la base borderline Kevin Smith. D’ailleurs, selon la définition que je viens d’en donner, Kevin Smith est indéniablement un auteur. Ça ne vole pas toujours haut. Mais ses films relèvent clairement de « l’extension matérielle de son âme ». Au final, c’est la leçon que j’ai tirée de Prank. Que mes influences vont ressortir de toute façon. Que je n’ai pas besoin de partir de l’idée que je vais faire « un film qui rappelle Noah Baumbach et Alexander Payne », que tout ça vient naturellement. J’aime Robert Altman. Je pense qu’il y a un peu de Robert Altman dans Les barbares de La Malbaie. Au moment du mix sonore, je voulais toujours qu’on rapproche les voix. Chez Altman, on entend les gens comme s’ils étaient à côté de nous, même quand ils sont loin dans le cadre. Ça m’a fait rire. Je me suis dit : « Nashville n’est pas très loin… »
Dans Prank, il y a aussi tout un hommage au cinéma d’action des années 1980, à travers le partage enthousiaste des récits de films comme Highlander, Predator ou Die Hard.
Encore une fois, c’était l’idée d’un des scénaristes ; et je partage cet amour des films de genre. J’adore Predator. Mais à l’époque, j’avais tellement peur d’être jugé en sortant des références comme celles-là ! Maintenant, j’y pense et je me dis que c’est ridicule. John McTiernan est un cinéaste formidable. Die Hard est un film incroyablement bien réalisé. C’est d’une rigueur, d’une précision qui relève carrément de la perfection. Si un jour, je tourne un film qui arrive à la cheville de ça, je vais pouvoir me dire que j’ai accompli quelque chose.
15 Décembre 2019