Festivals

Festival d’Annecy (online) 2020 – Jour 0

par Nicolas Thys

A Annecy, le festival n’aura donc pas lieu cette année, la faute à un certain virus…

Seul lot de consolation, même si ce ne sera pas pareil, la nécessaire programmation en ligne et l’idée de faire « comme si ». Les avantages sont certains : moins de bugs dans la réservation des séances, pas de douche à la sortie de chaque salle, de la place pour tout le monde pour voir les films et un tarif bien plus avantageux (15 euros au lieu d’une soixantaine habituellement pour l’accréditation festival). Mais les inconvénients se font sentir car, rappelons l’évidence pour ceux qui n’en ont jamais fait, un festival ce n’est pas que des films, et pas ainsi montrés. Un festival c’est une bulle, un autre espace-temps, quasi coupé du monde comme s’il cessait d’exister quelques jours (sauf sur les écrans), c’est une énergie décuplée quitte à ne dormir que 5h par nuit et c’est revenir chez soi lessivé. Il n’y a d’ailleurs rien de plus mortifère qu’une ville un lendemain de clôture.

Ce sont surtout des milliers de gens qui respirent le cinéma dans sa multiplicité : amateurs, professionnels, animateurs, producteurs, courts, séries, longs métrages ou nouveaux médias. Des rencontres manquées, d’autres enfin réalisées et qui seront donc repoussées d’un an. C’est également le plaisir d’entendre parler cinquante langues tous les cinquante mètres, ou plutôt les sonorités de cinquante accents puisque le monde s’est mis au globish, et ce sont des bribes de discussions entendues au hasard dont on s’agace, qui font réfléchir, qu’on récupère et dont on s’amuse, surtout quand on sait qui en sont les auteurs.

Entre voir un film seul, à Paris – pour nous – ou ailleurs, sur un petit écran avec le seul son des enceintes dans une pièce minuscule sans pouvoir en parler outre mesure, et l’aventure du déplacement avec l’ambiance générale, du fromage aux invités, et les retrouvailles avec certains qu’on ne voit qu’une fois l’an, l’écart est donc immense. D’autant plus que les films sont faits pour être projetés sur un grand écran avec une certaine ambiance sonore, une foule autour et ses réactions : rires, cris ou agacements. Le festival d’Annecy c’est aussi des bandes annonces qui sortent par les yeux et oreilles tant on les voit, des lapins et des avions en papier avant les projections, des « il va faire tout noir ». C’est encore le plaisir de croiser quelqu’un à la sortie d’une salle pour papoter, même en deux mots de ce qu’on qui vient d’être diffusé avant de courir assister à la projection suivante sans arrêter, de 9h à 1h, ou de se poser dans un café, sur un bout d’herbe parce qu’une connaissance nous a fait signe. Et tout ceci manquera cruellement.

En somme, un festival c’est une communauté de milliers de personnes, dynamiques, vivantes qui parfois se hurlent dessus et se battent mais qui va bien au-delà de l’indifférence d’une projection à la va-vite, sans rituel, confinée ou de rencontres derrière un écran.

Il ne reste qu’à espérer une programmation suffisamment riche et intéressante pour combler en partie ce fossé, ou cette distanciation aussi sociale que cinématographique avec les œuvres et leurs auteurs, avant un retour en Haute Savoie en 2021. Et ce d’autant plus que deux événements ont été reportés : le focus sur l’animation africaine, tant attendue car si méconnue à l’exception de quelques auteurs, et le soixantième anniversaire du festival qui aura donc lieu pour les 61 ans. Mais le monde n’en est pas à un paradoxe près, il suffira de rajouter une bougie !

Comme tous les ans, les différentes sections seront au rendez-vous avec les courts métrages en compétition, le off-limit, les films de fin d’études, les œuvres de commande (accessibles gratuitement via un lien youtube), les séries ou spéciaux TV, la VR – qui sera limitée à ceux qui possède le matériel adéquat ou à devenir un simple format court, nous verrons bien – les longs métrages et les longs « perspective » et quelques séances spéciales dont le WTF ! pour la quatrième saison. A cela, s’ajoute un marché du film en ligne pour les professionnels. Seule différence notable, pour ceux qui auront pris l’un des pass, la possibilité de visionner les films jusqu’au 30 juin, soit 15 jours au lieu des 6 sur place habituellement.

Si d’habitude, la couverture du festival est à l’image de celui-ci et passe d’une découverte à l’autre, d’un long à un court, a priori sans lien visible sauf ceux qu’on crée après coup en faisant le point sur une journée de visionnage, cette année elle sera différente. Comme signalé plus haut, il sera impossible de se mettre dans les conditions adéquates. Et le temps passé à voir des films sera de l’ordre de la coupure parmi les occupations habituelles, normalement absentes. C’est pourquoi, nous passerons outre les longs-métrages. D’autant plus que plusieurs sortiront en salle et qu’il est préférable de les découvrir ainsi. Deux exceptions seront faites pour des films singuliers qui trouveront plus difficilement un distributeur. Kill it and leave this town avait fait sensation à la Berlinale 2020. Ce film polonais de Mariusz Wilczynski, réalisé pratiquement seul en techniques diverses, aura mis plus de 15 ans à être réalisé. Difficile de ne pas songer, avant de l’avoir vu, au Consuming spirit de Chris Sullivan. Parmi les voix au générique, figurent rien moins qu’Andrzej Wajda et deux de ses acteurs fétiches, Krystyna Janda et Daniel Olbrychski ainsi que celle du réalisateur de Tango, Zbignew Rybczynski. Le film promet 1h30 de désespoir dans des rêves lugubres peuplés de personnages d’enfance. Impossible de le rater ! Idem pour Accidental Luxuriance of the Translucent Watery Rebus dont le titre restera le plus beau de l’année. Présenté en perspective, il s’agit d’un film croate de Dalibor Baric, artiste multimédia auteur de plusieurs courts métrages. Son long, hautement politique et certainement expérimentale d’après sa bande-annonce, parlera d’un homme et d’une femme, recherchés par la police qui rejoignent une commune révolutionnaire.

Nous nous focaliserons sur le cœur du festival : le court-métrage. Les sélections officielles, off limit et étudiantes seront défrichées dans leur totalité pendant les 15 prochains jours. Parmi les films déjà vus et les plus attendus, notons Physique de la tristesse de Theodore Ushev, l’une des plus importantes œuvres cinématographiques de la dernière décennie mais aussi Altötting d’Andreas Hykade, Carne de Camila Kater ou De passant de Pieter Coudyzer. Genius Loci d’Adrien Mérigeau sera de la partie et il a déjà bien fait parler de lui, de même qu’un nouvel opus d’Alberto Vazquez, Homeless home pour patienter avant son prochain long à base de licornes et de nounours. Difficile de ne pas se pencher sur la nouvelle folie signée Kaspar Jancis, Kosmonaut ou sur Nagot att minnas de Niki lindroth von Bahr, récipiendaire du Cristal en 2016, ainsi que sur le Purple boy d’Alexandre Siqueira qui tourne depuis quelques temps et poursuit donc sa belle carrière. Ce festival sera également la première du Rivages de Sophie Racine qui arpente des paysages comme personne et dont le grand écran et les balances sonores nous manqueront.

Du côté des enfants, il sera bon d’aller voir le Archie d’Ainslie Henderson et Ghadameh Yazgahom de l’iranienne Maryam Kashkoolinia ; ainsi que les nouvelles œuvres de Max Hattler et Claudia Larcher en off-limit. A signaler également parmi les œuvres de commandes, les derniers opus de PES, Alice Saey, Steve Cutts ou Caleb Wood dont aucun film en solo n’avait pour le moment eu les honneurs du festival alors qu’il est l’une des grandes figures actuelles de l’animation aux Etats-Unis et un habitué d’Ottawa. Une erreur de réparée !

A ce programme s’ajouteront probablement quelques WIP et pitchs comme une rencontre en ligne, ce mardi 16 juin à 14h, avec Alain Ughetto qui évoquera l’avancée d’Interdit aux chiens et aux italiens. Quant à Michele et Uri Kranot, ils parleront de leur prochain projet VR, The Hangman at home, demain à 18h.

Bon festival !


14 juin 2020