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Festivals

Festival d’Annecy 2021 – Jours 5 & 6 : Off-limits et autres pépites

par Nicolas Thys

Ces deux derniers jours de festival ont été marqués par de jolies découvertes cinématographiques. C’est le moment de revenir sur le dernier programme en compétition et sur le « off-limits » qui reste, dans sa globalité, la séance la plus passionnante.

Les courts de la compétition 5 ont paru plus innovants que ceux des deux derniers jours et ont bien relevé le niveau. Deux exceptions cependant : Concatenation 2 de Donato Sansone, qui reprend l’idée de réaction en chaine à partir d’images sportives, exercice de style amusant mais, comme le premier, anecdotique, et le dernier film MeTube 3 de Daniel Moshel. Certes c’est léger et amusant mais surtout faible. Un exercice de montage exagéré, quelques effets numériques, un côté SM déluré et une mécanique bien huilée ne suffisent pas à capter notre intérêt pour ce Donizetti en mode super héros. Sur la même partition, on reverra plutôt le court de Carlo Vogele, Una furtiva lagrima.

Autre – et bien malgré le film – déception : Ecorce de Samuel Patthey et Silvain Monney qui semblait beau, quoique légèrement décousu dans son côté vignettes, sur le thème de la routine d’une maison de retraite. Patthey redéploie un dispositif descriptif déjà au cœur de son film de fin d’études, Travelogue Tel-Aviv. Malheureusement, difficile de se faire un avis car nous étions assis devant un… bébé de quelques mois (oui, oui dans une projection officielle de festival !) qui s’est mis à babiller par intermittence pendant de longues minutes. Rencontre incongrue et parfait moyen de gâcher une projection. Le temps de se reconcentrer, le court touchait à sa fin. Ne reste en tête qu’un plan, le dernier, magnifique. Et surtout, dommage !

Heureusement, on apprécie la sombre et simple beauté macabre qui se dégage des rails et des métamorphoses de Der Lokführer de Zuniel Kim Christian Wittmoser dans lequel un conducteur de train évoque ceux qui sont morts sous ses roues. Idem pour le nouveau jeu de pixillation de Paul Wenninger dans O. Le réalisateur, quasi immobile au centre d’une pièce close, reste fixe pendant que la pièce tournoie de plus en plus vite. Au-delà de son aspect théorique – l’illustration de l’« inertie polaire » de Paul Virillio – c’est l’aspect ludique qui ressort.

Dans les survivances du festival, notons l’inquiétante étrangeté de They dance with their heads de Thomas Corriveau. Une tête coupée, un corbeau, la mer, le tout en peinture. Le sans-corps évoque sa vie au gré des altérations de la matière avant de plonger dans une belle chorégraphie rotoscopée. La peinture se fait paysage et les mouvements crayonnés, dans leur immatérielle légèreté, transportent. Puis la tête ressurgit et la dévoration se poursuit. A une certaine incompréhension se joint un désir de se replonger plus en avant dans l’oeuvre. Sur le versant opposé, L’Amour en plan de Claire Sichez est bien plus narratif et statique dans son évocation d’une famille où la mère ne supporte plus la charge mentale qui lui incombe. Devenue invisible, elle se rebelle mais ne parvient qu’à se cloisonner davantage. La réussite tient à cette mélancolie teintée d’humour qui persiste une fois la fin arrivée comme si leur monde était factice.

Mais s’il fallait retenir deux œuvres, ce serait Sve te senzacije u mom trbuhu de Marko Djeska et On Time de Zbigniew Czapla. Le premier court métrage, croate, parle d’une femme transgenre, de la difficulté de faire accepter sa véritable personne et de trouver l’amour auprès d’un homme. Le trait est simple et le papier découpé apporte un ton artisanal et peu assuré au personnage qui, petit à petit, parvient à se construire. Cette manière d’entrer dans une psychologie et une intimité qui se cherchent fonctionne d’autant mieux que le film n’est jamais larmoyant, en dépit des difficultés vécues par son personnage. Et, en plus, il est porteur d’espoir.

Expérience de voyage, On time est à l’opposé du carnet de croquis souvent utilisé et mis en mouvement. Loin du processus de lenteur et d’observation de ce dernier, Czapla utilise le fragment, dans une dynamique opposée et quelque peu oppressante faite de variations et de répétitions. D’un séjour au Japon, le cinéaste compose une œuvre hallucinante sur la vitesse, l’éphémère, la disparition et la transformation, à commencer par celle, simple, d’une image par une autre. Perdu entre des signes visuels et sonores disparates, il dresse un profil percutant et personnel du pays. Portraits d’individus, moments urbains, images de catalogues ou calligraphie traditionnelle se mêlent à des Haïku et des sonorités ferroviaires. Le réseau qu’il tresse, sans logique de temporalité apparente, parle d’un monde qui se peut plus que se précipiter, incapable de prendre son temps mais qui se fait miroir de notre réalité.

Avant d’aborder le « off-limits » revenons brièvement sur deux longs métrages : une bonne surprise et une confirmation. La surprise vient de Hayop Ka ! d’Avid Liongoren, long métrage philippin en 2D où une chatte en couple avec un chien aussi musculeux que miséreux tombe amoureuse d’un toutou bien plus riche. Le récit emprunte à des télé-novelas et autres programmes radio locaux qui misent sur les déboires sentimentaux. Tout ici est outrancier de l’histoire d’amour avec ses allusions salaces aux stéréotypes de classe et de rapport sociaux. Ce qui pourrait être piteux s’il était sérieux devient entrainant grâce à un aspect cartoon où tout est permis. Le plus agréable reste que si le cinéaste se moque de cette culture médiatique à l’eau de rose, il porte un regard tendre sur ceux qui l’apprécie avec un final étonnamment touchant.

Néanmoins, le film le plus important reste La Traversée de Florence Miailhe, premier long métrage en peinture animée d’une des plus importantes cinéastes actuelles. Cela faisait 15 ans qu’il était attendu et deux semaines avant le début du festival nul ne savait s’il serait à Cannes ou Annecy. Finalement Annecy l’a eu et tant mieux pour nous. Cette attente devenait dangereuse car elle aurait pu mener à une déception. Il n’en est rien, bien au contraire. Le scénario est parfaitement construit, jouant avec la structure du conte pour amener le film dans un univers réaliste où deux enfants migrants et séparés de leurs parents doivent franchir une frontière et rejoindre leur famille. D’épreuves en épreuves, ils parcourront un pays imaginaire qui pourrait aisément être en Europe, seront arrêtés, vendus, volés, menacés… La peinture apporte une douceur, une fragilité et de la texture à un récit particulièrement fort et audacieux tout en jouant sur une mémoire qui oublie les détails. En effet, le film est raconté à la première personne par la réalisatrice qui s’inspire d’éléments de son histoire personnelle même si son récit est une fiction qui puise dans différentes époques.

Une fois n’est pas coutume, la sélection la plus passionnante, car peut-être la plus ancrée dans la contemporanéité des images et d’un certain rapport au monde, était la « off-limits ». Il faut le rappeler, ce programme est censé réfléchir aux frontières entre ce qui est animation et ce qui ne le serait pas, moins ou différemment. La définition du terme étant elle-même complexe, les films proposés sont souvent autrement narratifs et les formes originales qu’ils convoquent pourraient migrer ultérieurement dans d’autres œuvres moins radicales et contribuer à réinventer le langage cinématographique.

Les huit courts métrages qui composaient cette section cette année possédaient tous un intérêt certain et incitaient à la réflexion, n’en déplaise à ceux dont les yeux étaient en compote une fois l’heure et demie de projection achevée. Malgré leurs différences, il est possible de les réunir selon trois motifs : les œuvres pointillistes, les expérimentations féministes/politiques et les fabrications d’abstractions visuelles et rythmiques pures.

Les pointillistes sont le Hum drum de Patrick Bokanowski, Maalbeek d’Ismaïl Joffroy-Chandoutis et There Must Be Some Kind of Way Out of Here de Rainer Kohlberger. Tous trois jouent différemment sur cette idée du point rappelant immanquablement le pixel, l’image qui se compose, se décompose et se présente comme un amas, une création d’éléments disparates qui se rejoignent pour former un simulacre. En cela, ils questionnent une relation au geste artistique pour le premier, à la mémoire et son effacement pour le second, et au cinéma pour le troisième. Hum drum débute par un hypnotique feu d’artifice dont chaque élément lumineux se reflète en surimpression sur les ombres saccadées et « bruyantes » (dans le sens du bruit numérique) d’un peintre au travail, de ses couleurs et de divers objets en mouvement et explosifs. Bokanowski a depuis longtemps quitter l’argentique et les expérimentations optiques pour travailler ici une picturalité proprement numérique. Maalbeek revient sur un trauma : l’amnésie d’une survivante d’une attaque à la bombe dans le métro en 2016. Si le cinéaste travaille le fragment, la reconstitution du souvenir et la situation de l’humain par rapport à ce dernier en mélangeant les régimes d’image (numérique, vidéo surveillance, image TV, etc.) lui aussi fait intervenir le pixel dans un magnifique premier plan, travelling arrière où l’image manquante cherche à se reconstituer, à retrouver une unicité perdue. Si la mémoire hypertextuelle dans Immemory de Chris Marker, ses images se reconstituent difficilement, point par point, dans les profondeurs dans Maalbeek. A la façon d’un test d’Ishihara en mouvement, TMBSKWOH s’amuse de l’imagerie hollywoodienne traditionnelle du film catastrophe. Le film de Kohlberger n’est plus un film d’alchimiste comme ceux de Jürgen Reble ; avec lui les transmutations se sont pixellisées. Le cinéaste reprend les désastres naturelles créés numériquement pour les besoins de blockbusters et il les décompose, en cherche l’architecture, le squelette, les faisant exploser en points multicolores. Ce faisant, il interroge les archétypes et leur dissolution dans l’espace et le temps.

Le deuxième ensemble, complémentaire dans le rapport au corps féminin ou asexué qu’il propose, introspectif, historique et militant est composé de Panic d’Elina Maligina, de Cause of Death de Jyoti Mistry et de SCUM Mutation de Ov. Dans le premier, composé de photographies peintes, mises en mouvement et de toiles brutes et violentes, où le noir et blanc et les tâches colorées s’entrechoquent, la cinéaste interroge sa place dans le monde, l’âge, la pression sociale et les attaques de panique que cela engendre. Son film est une plongée dans l’intime à travers des images puissantes et une réflexion sur l’animation et sa manière d’interpréter les mondes intérieurs. Cause of death part davantage dans l’exploration historique avec un travail dans les archives et un maillage précis entre fiction, documentaire, éléments anthropologiques et création animée afin d’inviter à réfléchir sur le féminicide, culturellement ancré à toutes époques et dans nombre de civilisations. Réveil des consciences et reprise en main d’un passé à travers les images sont au cœur de cette œuvre, à une époque où les revendications se font entendre. Ce montage savant de corps féminins marqués révèle les éternels stigmates et plaies subies de façon factuelles comme symboliques. Avec SCUM mutation, on revient dans un registre contemporain. Le titre rappellera le SCUM Manifesto de Valerie Solanas dont on retrouve l’aspect politique et militant en mettant en scène des corps mutants, torturés, grouillant dans un espace noir, enfer sans issue, et profondément meurtris. La reprise en main de ces monstruosités est quasi impossible ; ils deviennent des territoires à reconquérir, ce qu’Ov tente de faire à travers l’écrit et quelques phrases chocs qui ponctuent la narration : dialogues peu ou très audibles issus de manifestations récentes, slogans, terminologies psychologiques, citations ou violence graphique. Le verbe devient image et le corps ne cesse de se métamorphoser douloureusement en une manière organique et synthétique d’où ressort un puissant désir de libération.

Les deux films restants, proposent des univers bien plus abstraits et d’autres réflexions sur le médium. Dissolution prologue (extended version) est présenté par Siegfried Fruhauf, son auteur, comme un travail sur la nature du film et en particulier l’idée d’écran derrière le rideau. Il s’amuse de répétitions géométriques, ouvertures et fermetures d’un espace bleu pour laisser place à du noir. Chaque motif visuel est associé à des sonorités simples, plus ou moins aigues. Le rythme augmentant, la dissolution devient de plus en plus flagrante et le cinéaste crée une étonnante partition rythmique. Si, pris pour lui-même, il pourra donner des impressions de déjà-vu, rattaché à l’oeuvre du cinéaste, il devient un élément important, comme une synthèse abstraite. Enfin, avec Tunable mimoïd, Vladimir Todorovic réalise un faux documentaire animé. Et ceux qui ne connaissent pas le Solaris de Stanislas Lem, qui décrit une lointaine planète et un vaste océan d’où se détachent des formes singulières parmi lesquelles des mimoïdes, s’y laisseront peut-être prendre. Le cinéaste utilise une forme chapitrée, typiques de certains films scientifiques, et décrit des couleurs et des phénomènes de mobilité caractéristiques de ceux réalisés sur des objets aux dimensions aperceptibles que seul un dispositif optique particulier permet de capter. Ainsi, il s’amuse de formes étranges qu’on dirait issue d’expériences de laboratoires.

 

Le festival d’Annecy 2021 se termine donc. La cérémonie a permis de voir trois autres jolis films. Une œuvre de confinement dirigée par Samuel Yal, Envol, qui entremêle différentes techniques et de multiples créateurs, Boy oh boy, très court métrage du réalisateur du génial Obvious child. Il reprend des éléments de son univers décapant en y déposant un bébé au centre. Preuve encore qu’on les préfère dans les films que dans la salle… Mais retenons surtout Jung & Restless de Joanna Priestley que nous avions laissé avec son long métrage abstrait North of blue. Cette spécialiste qui explore l’animation informatique depuis 35 ans maintenant s’empare de différents patterns et mandalas afin d’explorer la poétique du psychanalyste Carl Gustav Jung. Dans un synchronisme onirique entre le son et l’image, nous observons des métamorphoses d’éléments figuratifs ou abstraits, d’un visage à la tour Eiffel en passant par des motifs géométriques et des objets quotidiens, le tout rythmé par des chorégraphies de plus en plus ordonnées et douces jusqu’aux hypnotiques et circulaires danses finales.

Retenons aussi le pays à l’honneur l’année prochaine : la Suisse. Ce sera une belle manière de revoir les films de Nag et Gisèle Ansorge qui mériteraient une belle restauration. Et gageons qu’on pourra voir l’attendu Red Jungle de José Lozano et Zoltán Horváth en compétition !

Place maintenant au palmarès que, comme chaque année, nous ne discuterons pas. D’une part car, selon les catégories, nous n’avons pas tout vu et, d’autre part, parce qu’il s’agit de prix décernés par trois personnes. Si on les interchangeait tout serait différent. Nous préférons donc plutôt dire deux mots sur un festival riche et qu’on était ravi de retrouver. Et, même si la compétition courte était inégale et quelque peu décousue, elle a révélé de bonnes surprises !

 

Courts métrages

Cristal du court métrage

Écorce de Samuel PATTHEY & Silvain MONNEY

Prix du jury

Easter Eggs de Nicolas KEPPENS

Mention du jury – « Mention spéciale pour la réalisation »

Affairs of the Art de Joanna QUINN

Prix « Jean-Luc Xiberras » de la première oeuvre

Hold Me Tight de Mélanie Robert-Letourneur

 

Prix du film « Off-limits »

Tunable Mimoid de Vladimir TODOROVIC

Tunable mimoid 

Films de fin d’études

Cristal du film de fin d’études

Hippocampe de Zehao LI (China Academy of Art)

Prix du jury

Avant de Marcell MOSTOHA (MOME – Moholy-Nagy University of Art and Design)

Mention du jury – « Direction artistique exceptionnelle »

La Confiture de papillons de Shih-Yen HUANG (ENSAD – École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs)

 

Longs métrages :

– L’Officielle

Cristal du long métrage

Flee de Jonas POHER RASMUSSEN

Prix du jury

Ma famille Afghane de Michaela PAVLÁTOVÁ

Mention du jury

La Traversée de Florence MIAILHE

 

Prix Fondation Gan à la diffusion

Flee de Jonas POHER RASMUSSEN

 

– Contrechamp

Prix contrechamp

Bob Cuspe – Nós Não Gostamos de Gente de Cesar CABRAL

Mention du jury contrechamp

Archipel de Félix Dufour-Laperrière

 

 Films de télévision et de commande :

– Films de télévision

Cristal pour une production TV

Vanille de Guillaume LORIN

Prix du jury pour une série TV

Japan Sinks: 2020 « The Beginning of the End » de Masaaki YUASA

Prix du jury pour un spécial TV

Maman pleut des cordes de Hugo DE FAUCOMPRET

 

– Films de commande

Cristal pour un film de commande

Kai « A Little Too Much » de Martina SCARPELLI

Prix du jury pour un film de commande

Hjelp, vi har en blind pasient de Robin JENSEN

 

Œuvres VR

Cristal de la meilleure œuvre VR

Replacements (Penggantian) de Jonathan HAGARD

 

Prix spéciaux

Prix du jury junior pour un court métrage

People in Motion de Christoph LAUENSTEIN, Wolfgang LAUENSTEIN

Prix du jury junior pour film de fin d’études

Mon ami qui brille dans la nuit de Grégoire DE BERNOUIS, Jawed BOUDAOUD, Simon CADILHAC, Hélène LEDEVIN (Gobelins)

Prix jeune public

Kiko et les Animaux de Yawen ZHENG

Prix du jury junior Canal+

Un caillou dans la chaussure d’Éric MONTCHAUD

Prix FIPRESCI

Angakuksajaujuq de Zacharias KUNUK

Prix André Martin du meilleur film français

Long métrage : L’Extraordinaire Voyage de Marona d’Anca DAMIAN

Court métrage : Maalbeek d’Ismaël Joffroy CHANDOUTIS

Prix festivals connexion

Bestia d’Hugo COVARRUBIAS

Prix de la meilleure musique originale

Long métrage : Flee par Uno HELMERSSON

Court métrage : Le Réveil des insectes par Denis VAUTRIN

Prix de la ville d’Annecy

Clara with a Mustache d’Ilir BLAKCORI

Prix youtube

Wochenbett d’Henriette RIETZ


23 juin 2021