Festivals

FNC 2019 – Blogue no. 2

par Céline Gobert

Comme mon collègue Carlos, j’ai opté pour la première mondiale de Videophobia de Daisuke Miyazaki présenté dans la section Temps Ø, qui permet toujours de dénicher de nouveaux regards. Articulé autour de l’identité et, justement, du regard, le récit existentiel du Japonais (qui, s’il demeure encore peu connu n’en est pas à son coup d’essai) se brise aux deux-tiers, achevant l’étiolement identitaire de l’héroïne. Le dénouement fait de l’oeil aux Yeux sans visage de Georges Franju et nous laisse avec, en tête, un dernier regard : celui d’une femme perdue, qui se fixe dans un miroir et ne se reconnaît plus.

Si de nombreux vieux de la vieille (Loach, Almodovar, les Dardenne, Costa-Gavras, etc.) composent une partie de la programmation cette année, ne nous privons pas de découvrir la jeune cinéaste polonaise Jagoda Szelc qui, avec le fracassant Monument, présenté plus tôt cette année à Rotterdam, déploie une proposition de cinéma complexe et impénétrable, aussi glacée que peut l’être l’atmosphère de nombreux films de l’Europe de l’Est. Notons que l’an passé, Temps Ø programmait le Polonais Fugue d’Agnieszka Smoczynska, qui témoignait déjà de la vitalité de la scène cinématographique de ce pays. Monument obéit d’ailleurs au même principe de liberté que le film de Smoczynska, notamment dans son refus obstiné de résoudre le puzzle donné, ou d’offrir des réponses toutes faites. Le film de Szelc, son deuxième, après Tower. A Bright Day., se concentre sur la dynamique viciée d’un groupe de jeunes stagiaires en hôtellerie et mise sur une logique de cauchemar stakhanoviste à la froideur kubrickienne dont la rigueur quasi militaire n’est pas sans rappeler celle de la filmographie de son père spirituel. Derrière cette grande oeuvre sur l’enfer prolétaire se cache (étonnamment) le projet de fin d’études des acteurs (et étudiants en art dramatique) du film. C’est ce qui explique ce glissement théâtral, qui saisit l’abstraction de la terreur par petites touches (ses couleurs, ses angles, ses rappels aux films de genre : la sorcière, la menace du cannibalisme, le glissement vers la folie), et ce, jusqu’au final saisissant, qui semble contenir toute la souffrance du monde en son sein. Assurément l’une des grandes découvertes de 2019 que je vous conseille de ne pas manquer.

Mais revenons à Franju. L’ombre du réalisateur français plane également sur le sixième film du Belge Fabrice du Welz, Adoration, programmé pour sa part dans la section Compétition Internationale. En effet, c’est une citation de Boileau-Narcejac sur le pouvoir de l’imaginaire, issue du court-métrage de Franju, La première nuit (1958), qui sert d’exergue à ce récit d’amour timbré entre deux jeunes adolescents, lancés dans une fugue effrénée au coeur de la nature. Les amateurs du cinéma du cinéaste sont en terrain connu : viscérale, son oeuvre se montre comme à l’accoutumée très romantique dans sa peinture de l’intensité et de la pureté des sentiments, brillamment secouée par des instantanés expressionnistes que n’aurait justement pas renié Franju. Si les deux figures enfantines permettent au réalisateur de traduire plus explicitement à l’écran l’innocence intrinsèque de ses films (du moins, avec plus d’évidence que ne le faisaient le couple meurtrier d’Alléluia ou la mère endeuillée de Vinyan), le coeur de l’histoire saisit une nouvelle fois la même impossibilité qu’ont les protagonistes de faire le deuil d’un amour solaire total, absolu. Du Welz mise sur la simplicité de l’expérience sensorielle pour entraîner le spectateur dans son conte noir fantastique parfois redondant, dont les influences (La Nuit du Chasseur, le cinéma de Melville, ou encore celui de Del Toro) sont évidentes. L’utilisation du 16mm, en plus d’être absolument magnifique, lui permet de figurer à l’image l’épure qui accompagne l’abandon, le don de soi. À noter que le cinéaste belge sera présent à Montréal durant le festival.

Si la dynamique d’êtres aux contours identitaires flous relie Monument et Adoration, elle s’étend aussi au Colombien Monos de Alejandro Landes, présenté en février à la Berlinale et programmé lui aussi dans la section Compétition Internationale. Auréolé d’un Prix spécial du Jury à Sundance, ce croisement improbable entre le Mexicain Tigers are not afraid de Issa Lopez et le Québécois Les 4 soldats de Robert Morin représente la Colombie dans les candidatures aux Oscars, et fait actuellement un carton au box office d’un pays qui n’a pas l’habitude de se ruer dans les salles. Il suit un groupe d’adolescents-soldats (les « Monos »), armés jusqu’aux dents, ayant kidnappé une otage américaine dans la jungle colombienne. Comme dans Monument et Adoration, une certaine innocence se brise au contact de la sauvagerie du monde, et la menace d’une rupture soudaine, qu’elle casse la narration ou qu’elle accable les protagonistes, expose la fragilité de la bulle sensorielle, éthérée, dans laquelle semblent évoluer les adolescents. La musique de Mica Levi (Under the skin, Jackie), aux sifflements brutaux et sublimes, contribue au resserrement progressif du drame que le cinéaste, hanté par des années de guerre civile en Colombie, a voulu aussi onirique que déshumanisant (d’ailleurs, les personnages n’ont pas de noms, et sont caractérisés de façon assez grossière). Landes fait le choix de montrer une guerre atmosphérique qui semble se dérouler aux confins du monde, à l’écart, comme dans un autre monde. Une bonne idée, non seulement pour s’affranchir de sa tendance limitante à l’américanisation des images mais pour aborder l’autre thématique forte du récit : la construction identitaire à l’heure des premiers désirs et des révoltes intérieures; à l’heure où le reste du monde semble si hors de portée, presque inexistant. Et, comme dans Monument et Adoration, une seule seconde suffit à renverser l’illusion candide : le cauchemar et les monstres ne sont jamais très loin.

SÉANCES DE RATTRAPAGE :

Monument : mardi 15 octobre à 18h30 au Cinéma du Parc + mercredi 16 octobre à 21h20 à la Cinémathèque.

Adoration : dimanche 13 octobre à 21h05 + mardi 15 octobre à 20h45 + dimanche 20 octobre à 16h au Cinéplex Quartier Latin.

Monos : jeudi 17 octobre à 21h + samedi 19 octobre à 15h35 au Cinéplex Quartier Latin.


13 octobre 2019