BUNGALOW
Lawrence Côté-Collins
par Mélopée B. Montminy
Alors que l’on traverse une crise du logement, l’accès à la propriété est souvent décrit comme un rêve de moins en moins tangible pour la génération millénariale. Et si rêve il y a, celui-ci relève peut-être davantage du cauchemar. C’est à cette peur bien précise qui caractérise un rapport générationnel à l’habitation que s’attaque la cinéaste Lawrence Côté-Collins dans son second long métrage, Bungalow, une comédie de rénovation angoissante et dégoulinante.
Révélée au public avec Écartée, sorte de documenteur lo-fi sur la réinsertion sociale d’un ex-détenu, qui glisse finalement vers le portrait voyeuriste, la cinéaste plantait le décor et nous habituait déjà à une forme de cinéma hybride, hétéroclite. Dans Bungalow, ce sont les codes du film d’épouvante qui se mêlent à ceux de la comédie, le tout nappé d’un hommage persiflant à la télé-réalité de type Canal Vie. Cette fois-ci, la cinéaste s’est dotée d’un coscénariste établi dans le genre comique, Alexandre Auger (Prank, Les Barbares de la Malbaie). La trame est simple : un couple nouvellement propriétaire, Sarah (Sonia Cordeau) et Jonathan (Guillaume Cyr), s’adonne à un ambitieux projet de rénovation qui s’avère considérablement plus compliqué que prévu. Accompagné·e·s de leur petit chihuahua Sugar, ils assisteront à l’effritement d’un idéal, prisonnier·ère·s de leurs aspirations. Parmi les thèmes entamés dans son premier long métrage qui reviennent dans Bungalow, il y a le lesbianisme en tant que menace à l’ordre établi, ici incarnée par Josée, l’entreprenante entrepreneure en construction (Ève Landry). Un ordre appelé à s’effondrer, que ce soit par le spectre saphique ou autre, les obstacles n’étant pas en déficit. Bref, l’avenir est sombre, il y a péril en la demeure, tel qu’annoncé par l’amie et prophète de malheur, l’aussi désinhibée que stoïque Cynthia (Geneviève Schmidt) ou encore par Jim, ce barman nonchalant (Martin Larocque).
Grâce à Sylvie Desmarais, la directrice artistique et alliée dans l’éclectisme de Côté-Collins, l’immersion dans cet environnement surstimulant est total : omniprésence de lumières DEL clignotantes, motifs clinquants et murs aux couleurs plus que vives tapissés de déclinaisons de Live Laugh Love. Disons qu’on est loin du minimalisme greigedésincarné. Notre attention est constamment convoitée, et ce de manière quasi agressive par myriade d’accessoires zébrés, sucrés, pétillants. (On pourrait facilement imaginer une version en odorama, entre nuages de vapoteuse, plâtre et putréfaction.) À cela s’ajoute une musique singulière signée Éric Graveline, qui donne dans l’électro-celtique en plus d’évoquer la musique stock de télé-réalité, s’agençant à merveille au plastique inondant chaque pièce de la maison. Afin d’atténuer le visuel pour le moins expressif, la caméra de Vincent Biron (acolyte de Auger, réalisateur de Prank et des Barbares de la Malbaie) permet une certaine stabilité qui vient calmer l’exaltation. La direction d’acteur a le même effet quant aux dialogues assez denses. Une certaine retenue permet d’éviter les excédents d’humour et de drame d’un scénario ne cherchant pas à être subtil.
L’expérience de plusieurs décennies de courts métrages de la cinéaste ainsi que sa participation à la réalisation de nombreuses télé-réalités, dont Un souper presque parfait et Occupation double, ont certes nourri sa façon de braquer sa caméra sur ses sujets. L’influence de son parcours transparaît dans le rythme de l’œuvre. La finale abrupte du long métrage peut paraître empruntée à un style de court métrage qui mise sur la chute, mais cette forme de résolution rapide inscrit aussi le film dans le genre de la comédie noire sans issue, qui vous assène un coup final avant que vous ne quittiez la salle de cinéma.
La fascination de Côté-Collins pour l’univers télévisuel – elle qui semble faire du téléviseur allumé en permanence une signature – est à la fois morbide et attachante, empreinte d’autodérision. Mais un travail d’équilibriste est requis afin de ne pas tomber dans la satire méprisante, voire facile, du quidam profitant de ses 15 minutes de gloire. Car la ligne est mince entre la moquerie de connivence et la caricature, et Lawrence Côté-Collins marche sur ce fil de fer, tantôt grinçante, tantôt sensible. Néanmoins, en entretien, celle-ci ressent le besoin de préciser le fait qu’elle s’identifie à sa protagoniste, Sarah, dont les goûts esthétiques seraient facilement assimilables à la quétainerie. La cinéaste rejette l’usage de l’étiquette « kitsch », que l’on pouvait pourtant accoler sans complaisance aux protagonistes d’Écartée, ces charmant·e·s Abitibien·ne·s, l’une collectionneuse de dauphins et l’autre passionné de modèles réduits.
Dans Bungalow, ces passe-temps truculents se présentent dans l’attrait pour le médiéval de Jonathan, alias Galdesh, boucher devenu guerrier, et à travers les manucures à thématique saisonnière de Sarah. Et donc, ce besoin de Côté-Collins d’affirmer son appartenance et de clamer l’autodérision pallie-t-il une ambiguïté maladroite inhérente à Bungalow, ou parle-t-il davantage de notre rapport aux « personnages » de télé-réalité et aux catégories de rires qu’ils nous procurent? Il apparaît parfois convenu que la seule façon socialement acceptable de visionner ces productions télévisuelles soit par ironie. La distance serait préférable à la proximité, car les participant·e·s à ces émissions commettent l’odieux de vouloir être vu·e·s, tandis que les spectateur·rice·s sont relégué·e·s au rang de vulgaires voyeur·se·s. Ainsi, il serait risible d’apprécier la valeur d’une télé-réalité de façon candide, par pur émerveillement pour les comportements humains.
Or, la réalisatrice a beau avoir un talent pour l’émerveillement, son regard est loin d’être candide. Protégée de Robert Morin – qui prête d’ailleurs sa voix au narrateur d’un tutoriel de coulage de béton –, Côté-Collins est une héritière de son humour caustique. Sans doute a-t-elle su trouver en lui une figure de mentor, et, dans le style Morin, qui allie cinéma d’auteur et cinéma populaire, une légitimité. Si Morin a permis de démocratiser un décloisonnement formel dans le cinéma québécois, il a ouvert la voie à des artistes comme Côté-Collins, un peu punk, un peu pop. Cette filiation à ce cinéaste reconnu pour son cynisme et son refus des concessions, moins pour sa nuance, est manifeste. C’est le paradoxe de Bungalow : d’une part un discours acide, une vision nihiliste du modèle familial banlieusard entretenu par le mythe néolibéral et, d’autre part, un amour véritable pour l’humain « ordinaire » dont c’est la quête, tenu captif par un idéal voué à l’échec.
6 avril 2023