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DVD

ÉCLATS ANIMÉS – 8 courts métrages d’animation canadiens

Numéro : 209
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ÉCLATS ANIMÉS

La vitalité de l’animation indépendante canadienne d’hier à aujourd’hui

Les films Kidnappé et Smaragdin ont été numérisés et restaurés dans le cadre d’un projet initié par la Cinémathèque québécoise, à partir d’éléments conservés dans ses collections. Il s’inscrit dans le contexte de la mise en œuvre d’une mesure du Plan culturel numérique du Québec.

KIDNAPPÉ (Thomas Corriveau, 1988)

Terminé en 1988, alors que le cinéma d’animation indépendant (c’est-à-dire hors ONF) est presque inexistant au Québec, Kidnappé est une œuvre ludique, qui reprend à son compte les jeux de récit façon Alain Robbe-Grillet (codes du roman policier, structure circulaire…). Thomas Corriveau, surtout connu à l’époque en tant qu’artiste visuel, truffe son film de références (comme l’oreille de Van Gogh), explore divers styles et multiplie les citations (du pop art à l’expressionnisme abstrait). L’ensemble est d’autant plus riche que la conception sonore de Claude Beaugrand et la musique de Jean Derome et René Lussier ajoutent tension, mystère, humour et ironie.

Étonnamment, le film a gardé une telle fraîcheur qu’on ne perçoit guère le hiatus d’une trentaine d’années entre lui et les œuvres plus récentes du cinéaste : La bêtise (2016) – dont la première inspiration est Nathalie Sarraute –, They Dance with Their Heads (2021) – qui fait inévitablement penser à l’univers de Beckett… (Marcel Jean)

PAS DE TITRE (Alexandra Myotte, 2021)

En 1990, à Saint-Amable, un immense incendie ravage un dépotoir de pneus usagés. Dans Pas de titre, Alexandra Myotte revient sur cette histoire vraie, qui s’est avérée une catastrophe écologique, en y ajoutant des personnages inusités : des passionnés d’ufologie, convaincus que la ville est prisée par les extraterrestres. Le film est narré par un reporter qui écrit pour le Journal des ufologues de la Montérégie. Et au milieu de cette faune se trouve la mystérieuse Louisiane Gervais, une sculptrice aveugle qui crée des œuvres au milieu du dépotoir de pneus. Qui, donc, aurait provoqué l’incendie ? Pas de titre est un cartoongrinçant et abracadabrant qui appartient à une veine qui n’est pas si courante au Québec. La réalisatrice y pratique un humour robuste, une satire sociale mordante, sachant amalgamer le tragique, le dérisoire et le surnaturel, tout en se montrant habile à inventer un petit monde coloré. (Marco de Blois)

RETOUR À HAIRY HILL (Daniel Gies, 2023)

Au milieu d’une forêt, une jeune adolescente recompose sa famille en fabricant, en guise de poupées, des petites figurines mi-humaines, mi-animales. Projection allégorique d’un contexte personnel à l’image de la proposition d’un test de psychologie ? Manifestation d’un pouvoir magique proche de celui qu’on prête aux poupées vaudou ? Fable écologique dans laquelle des humains prennent progressivement la forme d’animaux sauvages ? Retour à Hairy Hill préserve tout du long ses énigmes.

La raréfaction des mots – une comptine murmurée en guise d’ouverture et, dans la maison isolée, un cri plus qu’un mot : « maman » – laisse à nos imaginaires l’espace pour se déployer devant ce fascinant mélange entre une nature d’un réalisme troublant et des personnages en volume, creux et fragiles, ciselés dans des copeaux de papier reconstitués numériquement.

Et le carton final qui relie ce conte magique à une histoire vraie ne clôt pas le sens du film ; il ajoute une touche de mystère. (Jacques Kermabon)

 MADELEINE (Raquel Sancinetti, 2023)

Raquel a une trentaine d’années, Madeleine, une centaine. La première filme la seconde, à la formidable joie de vivre : « Ma maison loin de la maison », comme la surnomme affectueusement la cinéaste, originaire du Brésil, au générique de fin. En quinze minutes, Madeleine partage quelques précieux fragments d’une amitié au long cours, bien qu’elle se déroule au bord du précipice de la vie. Raquel Sancinetti passe avec une remarquable fluidité de moments en prise de vue réelle (captés par elle-même ou par Madeleine, car il n’est jamais trop tard pour s’initier à la technologie) à des séquences animées avec des marionnettes de laine, dont les rondeurs, la douceur et la pudeur ne pourraient mieux servir leurs sujets. Avec une fantaisie irrésistible, la cinéaste imagine un improbable périple jusqu’à la mer, aux allures de balade philosophique tout autant que d’aventure épique. Car au cinéma – a fortiori animé – tout est possible, même quand on a 106 ans. (Apolline Caron-Ottavi) 

LA SAISON DES HIBISCUS (Éléonore Goldberg, 2019)

Lauréat du prix Iris du meilleur court métrage d’animation en 2021, La saison des hibiscus est un exercice de mémoire, le récit sensible d’un moment traumatique vécu dans l’innocence de l’enfance. S’y côtoient l’horreur des massacres de Kinshasa, en 1993, et l’expérience sensorielle de l’Afrique dans le souvenir d’une fillette européenne. Le récit est fragile, l’animation épurée, les mots soigneusement choisis… Éléonore Goldberg poursuit le délicat travail sur la mémoire amorcé dans des films comme Errances (2014)et Mon yiddish papi (2017), démarche qui s’accomplit avec grâce dans un premier roman, Maisons fauves(2019), dont La saison des hibiscus transpose certains éléments. (Marcel Jean)

TWO ONE TWO (Shira Avni, 2023)

Shira Avni consacre ici un film à son fils, âgé de 10 ans. Elle revient sur sa grossesse, l’accouchement puis la vie du tout petit. Si son propos est tout simple – il s’agit d’une déclaration d’amour d’une mère à son fiston –, le film affiche en revanche des textures riches et variées, combinant un éventail de techniques (pâte à modeler, dessin sur papier, prises de vues réelles, rotoscopie) qui se fondent les unes dans les autres avec harmonie, donnant à l’œuvre sa personnalité à la fois forte et attachante. Two One Two est aussi émouvant, l’artiste évoquant tour à tour l’affection, les tourments, les joies et les pleurs avec sensibilité et délicatesse. Mi-documentaire animé, mi-film expérimental, le court métrage est réalisé par une artiste qui enseigne l’animation à l’Université Concordia, et qui se distingue, comme le démontrent ses films précédents, par sa démarche engagée et humaniste vouée au respect de l’autre. (Marco de Blois)

INTERSEXTION (Richard Reeves, 2022)

Richard Reeves est l’un des secrets les mieux gardés de l’animation canadienne. D’origine britannique, le cinéaste établi en Colombie-Britannique crée, depuis le début des années 1990, des films réalisés sans caméra, peignant et gravant sur la pellicule et, ce qui le rapproche particulièrement de Norman McLaren, dessinant la piste optique. Toutefois, l’énergie qui caractérise ses animations le rattache surtout à Len Lye – pensons à Free Radicals et à son énergie communicative. Intersextion est un film qui a la particularité d’être à la fois abstrait, fantasmagorique et empreint de sensualité. Le début évoque une sorte de big bang duquel émergent deux formes qui se meuvent, au fil de constantes métamorphoses, se rapprochant et s’éloignant l’une de l’autre au rythme d’une pulsation graphique et sonore dont l’intensité va en crescendo. Coloré, flamboyant, Intersextion s’empare du corps et des sens du spectateur. (Marco de Blois)

 SMARAGDIN  (Jean Letarte, 1960)

Redécouvert en 2020 à l’occasion du 60e anniversaire du festival d’Annecy (dont il faisait partie de la première sélection en 1960), Smaragdin est une sorte de bloc erratique dans le paysage du cinéma québécois : une œuvre abstraite signée Jean Letarte, sur un poème symboliste de Lucile Durand (qu’on allait plus tard connaître sous le nom de Louky Bersianik) lu fiévreusement par Marcel Sabourin, le tout accompagné d’une obsédante partition pour piano de Bruce Mather. Réalisé la même année que La femme image de Guy Borremans, le film exige presque qu’on réécrive l’histoire des origines du cinéma expérimental au Québec. Parce qu’il y a en effet de l’inspiration, de l’ingéniosité et du souffle dans ce film singulier, où se succèdent séquences dessinées et animation de particules. Tourné à Paris alors que Letarte et Bersianik séjournaient à la Maison des étudiants canadiens, le film porte une radicalité encore inconnue au Québec, sauf peut-être dans les trois minutes réalisées vers la fin des années 1940 par Gordon Webber… Surtout, la parole féministe de Louky Bersianik émerge dans certains vers de ce poème qui serait le premier qu’elle ait publié (dans la revue Rythmes et couleurs fondée par François Hertel). Avec Smaragdin, c’est une partie de l’histoire du cinéma et de la littérature québécoises qui s’écrit. (Marcel Jean)


8 Décembre 2023